Quand le visage devient paysage
juillet 2002
par Denise Pelletier
(DP) - Roberto Pellegrinuzzi a installé ses oeuvres photographiques à la galerie Séquence pour l'été. Cet artiste québécois reconnu internationalement explore depuis plusieurs années la technique, le discours et le sujet photographiques, qu'il réunit dans une vision poétique originale.
Parmi les quelques volets de son travail présentés dans les trois salles de la galerie, le plus frappant est la série «Les écorchés», notamment les deux montages représentant des visages en très, très gros plan. Chaque image a été réalisée à partir de 63 négatifs différents captés en direct en déplaçant légèrement l'objectif sur le visage de ses sujets, Claire et Pierre.
Ce déplacement a été fait de la façon la plus fluide possible, mais les mouvements de la caméra et des sujets, inévitables étant donné le long temps requis pour réaliser les photos, se retrouvent dans les raccords imparfaits entre les images et deviennent partie intégrante de l'oeuvre. Ce qui confère au travail, présenté sous forme d'impression numérique réalisée à partir des négatifs, une dimension humaine: l'exposition en extrême gros plan de chaque détail de ces deux visages met en lumière la fragilité, celle de l'artiste et celle des sujets.
Le visage de chacun de ceux-ci devient ainsi une sorte de paysage que l'on parcourt des yeux, détaillant, comme s'il s'agissait de montagnes, de vallées ou d'arbres,
le nez, les joues, le front, les lèvres. Poils et cheveux semblent plantés comme des arbres tandis que la peau traversée de sillons évoque un sol infertile et poreux.
D'autant plus «paysages» que les yeux des modèles sont fermés, et qu'il n'y a donc aucune possibilité de communication par le regard: ce regard ne va que dans un seul sens, du spectateur à la photo ... et c'est l'artiste qui en a décidé ainsi! La même série comprend aussi des photos partielles de visages: un oeil, ouvert cette fois, ou une bouche, toujours présentés en gros plans révélateurs de dimensions inconnues.
Inversion
Dans la série «Migration», le photographe explore la notion de l'inversion en nous proposant, toujours par le biais de l'impression numérique, des images par séquences de deux, où l'une est inverse de l'autre, dans la forme, la position, ou la couleur. Têtes qui se «font face» par le sommet, mains dont on voit la paume dans un cas, et le dos dans l'autre.
La migration d'une image à son contraire est indiquée par de multiples points colorés qui émaillent chaque photo ainsi que l'espace qui va de l'une à l'autre, tel un chemin tracé par l'artiste qui signe ainsi son travail à l'intention du spectateur.
La visite de cette exposition, présentée jusqu'au 25 août, constitue une excellente occasion de découvrir le travail d'un créateur sensible et original, qui imprime sa marque dans le courant actuel de la photographie québécoise. Le texte de Véronique Villeneuve que l'on trouve dans le livret d'accompagnement permet par ailleurs au visiteur de situer les oeuvres qu'il voit à Séquence dans le contexte plus général du travail de l'artiste.
Roberto Pellegrinuzzi est né à Montréal en 1958 et vit aujourd'hui à St-Jean-Port-Joli et à Montréal. Il a vécu pendant quelques années à Alma, au Lac-Saint-Jean. Il a exposé en solo entre autres à Athènes, à Rome, à Paris, à Toronto et à Montréal et participé à de nombreuses expositions collectives dans différents pays du monde.