Des collages qui dérangent
avril 2002
par Denise Pelletier
(DP) - Julie Doucet, c’est peut-être un nom qui ne dit rien, même à ceux qui se prétendent branchés en arts visuels, et pourtant, à sa manière c’est une star. Celle qui expose actuellement (jusqu’au 4 mai) à la galerie Le Lobe est en effet une célébrité dans le monde de la bande dessinée en Europe et au Québec.
Mais une bande dessinée qui est à des années-lumière de Charlie Brown, de Tintin et des Schtroumpfs: c’est trash, glauque, choquant, porno et dérangeant. Qu’il suffise de mentionner les titres de ses oeuvres les plus célèbres: «Dirty Plotte» et «Ciboire de Criss!», publiés l’un en anglais à Montréal, l'autre en France.
Mais ce n'est pas ce type de travail qu’elle présente au Lobe, voilà pourquoi nous pouvons en parler dans les pages de votre hebdomadaire dominical ... et familial. Cette exposition marque une rupture de l'artiste avec l’univers des comics, afin de vivre autre chose, d'explorer une autre forme d’art.
Si elle s’est déjà frottée à l’estampe, Julie Doucet aborde ici pour la première fois de façon officielle l’univers du collage. Pendant sa résidence, elle s’est d’abord procuré des journaux, catalogues, livres datant des années 60 et 70, dans les marchés aux puces et autres boutiques trouvées au Saguenay. Puis elle a découpé, associé des éléments figuratifs tels corps féminins, parties d’édifices ou de paysages urbains. Elle a aussi découpé et rassemblé par collage tous les textes qui accompagnent ses images.
Ses compositions s'articulent autour de poitrines et de troncs de femmes, seins nus à l'occasion mais le plus souvent emprisonnés dans des corsets, soutien-gorge, jupons et maillots contraignants et imposants. Les corps se détachent sur fonds urbains, édifices, parterres, constructions diverses, représentés une échelle différente. Ce trompe-l’oeil par collision d'échelles met en lumière l'aspect factice de l'univers évoqué. L'ensemble offre la vision féministe et critique d’un lieu et d'une époque - l'Amérique des années 50, 60, 70 - où les rôles, féminin et masculin, étaient définis par des impératifs sociaux et moraux complètement déconnectés des aspirations, des sentiments et des désirs réels des individus.
Le visiteur ne s’y trompe pas: si l’univers évoqué par les collages de Julie Doucet est ancien, il perdure aujourd’hui dans plusieurs aspects de la vie, et c’est à cela que l'artiste fait toucher, en mélangeant habilement corps féminins, édifices, imagerie reliée aux vêtements, à la mode, aux soins du corps, à la médecine, à la publicité, au sexe. De tout cela émane une ironie grinçante et délirante, confirmée en amplifiée par les descriptions textuelles associées aux images. Par exemple, dans une série consacrée à la «mode», les textes, associés à des images de vêtements ridicules ou improbables, se lisent ainsi: «chapeau kangourou en hip slip orange clair», «pantalon chien moulant à carreaux marron et beige», ou encore «polo crapaud japonais avec un frou-frou en cuir beige».
L'exposition comprend aussi une installation: un assemblage de dés à jouer réalisés à partir de boîtes de carton découpées et assemblées, sur lesquelles l'artiste a posé des pastilles contenant des textes.
Sarcastique, impertinente, poétique et délirante, la vision du monde de Julie Doucet a quelque chose de rafraîchissant et de vrai. Mentionnons qu’on peut voir aussi à la galerie des exemplaires de bandes dessinées et livres publiés par l'artiste. Même s’il s’agit d’éditions limitées et confidentielles, on peut les trouver à Saguenay, à la boutique spécialisée jiix!, située sur la rue Racine à Chicoutimi.