Nathalie Derome

Toucher à tout, y compris à l'art visuel
mars 2002

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Artiste multidisciplinaire, parolière et chanteuse, comédienne, performeuse, poète: on aurait pu croire que Nathalie Derome avait abordé toutes les disciplines.
Toutes? Non, elle n’avait pas encore travaillé en arts visuels. Elle a bien fabriqué des objets, patenté des instruments, utilisé des bidules en tous genres pour ses performances, mais travailler en galerie, pendant quelques semaines, afin de réaliser une installation, elle ne l'avait pas encore fait.
Et c’est à Chicoutimi, plus précisément à la galerie Le Lobe que s’est réalisée cette première pour Nathalie Derome, qui termine aujourd'hui une résidence de création de quelques semaines. Quand nous l'avons rencontrée il y a quelques jours, presque tout ce qu'elle avait construit et aménagé dans la galerie avait été enlevé pour faire place au cabaret du festival Regard sur la relève du cinéma québécois au Saguenay, qui se tient là chaque soir depuis jeudi.
Cette disparition ne semblait pas trop affecter l’artiste qui avait eu cependant le temps de présenter une performance dans l'espace qu’elle avait aménagé. Elle trouvait tout aussi intéressant de parler de cette installation, de la raconter, que de prolonger la vie de ses créations.


Installation
Elle a cependant pris contact, pendant son séjour au Lobe, avec la pratique en arts visuels, notamment en discutant avec les artistes des ateliers TouttouT qui vivent et travaillent sur place. «Avoir du temps, un espace pour créer, imaginer des oeuvres dans la durée, c'était nouveau pour moi», dit-elle.
Elle avait construit son installation en aménageant, dans cet espace tout blanc, des zones à l'aide de matériel trouvé sur place: photos, livres, papier, crayons. Elle a collé au mur de petits papiers sur lesquels elle avait écrit de courtes histoires. Disposé des lampes, des feuilles, des fils, des cordes, et autres objets hétéroclites de façon à leur donner un sens. Garni un fauteuil de papier métallique.
Les quelques rares traces de son travail demeurées intactes ont été intégrées à l'aménagement du cabaret, mais ce n’est pas encore cette fois que Nathalie Derome va créer une oeuvre durable: l’éphémère n’a rien perdu de la fascination qu’il exerce sur elle.

Musique ce soir
Et tout cela se termine ce soir par une autre performance, musicale celle-là, que donne Nathalie Derome avec deux musiciens, Maryse Poulin et Olivier Tardif. Ne pas s'attendre à un récital de chansons: il y aura de la création sonore sur des instruments inventés et bricolés, des styles connus comme le rock et la ballade, ou inconnus et inventés. Des pièces très courtes, d’autres plus longues, des faciles, des songées, du comique, du punk, du jazz, du prosaïque et du poétique. Bref, encore une fois, cela risque de ne ressembler à rien de connu. C’est présenté ce soir à 23h, dans le cadre des soirées cabaret du Festival Regard sur la relève du cinéma québécois au Saguenay.
Dès son enfance, puis tout au long de ses études en théâtre, Nathalie Derome contestait les contraintes du théâtre traditionnel. «Je n'aimais pas ces personnages figés, ces castings qui confinent les femmes à certains types de rôles, j’ai toujours voulu briser les cadres, non pas simplement pour critiquer, mais montrer qu’on peut faire autre chose».

Inclassable
Elle a, donc, fait autre chose, des trucs marginaux, underground, qui ont cependant trouvé peu à peu leur voie et leur public. Nathalie Derome est aujourd’hui connue et respectée, du moins dans le monde de l'art actuel québécois et étranger, comme artiste inclassable qui questionne sans cesse dans sa pratique les codes de la représentation et les cadres de l'art traditionnel.
L’an dernier, elle a monté un spectacle solo intitulé «Du temps d’antennes», axé sur la musique, les chansons, les bruits, dans un décor comprenant des morceaux de miroir et des souliers collés au plafond. Elle l’a présenté 22 fois, un nombre assez extraordinaire pour une création de ce genre.
C’était un spectacle intimiste, fait en solo, dans lequel elle explorait le territoire et le son. Nathalie Derome aimerait réaliser sa prochaine création avec d’autres artistes, et travailler cette fois sur l’éclairage et le regard.
Pour arriver à être diffusé, connu, à vivre de la performance et de l'art marginal, il faut beaucoup de patience et de travail. Mais «tout dépend de nos valeurs, ce n'est pas un choix raisonné, c’est une passion qui s’impose», dit-elle.