La riche grammaire graphique d'une grande artiste
décembre 2001
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Dans les dessins et sculptures de Jana Sterbak exposées à la galerie L'Oeuvre de l'autre sous le titre «Penser tout haut», on peut déceler l'intérêt marqué de l'artiste pour les rapports entre l’organique et le graphique. Le corps, son propre corps dans plusieurs cas, est au centre d’un dessin, d’un montage qui le présente entouré de fils électriques, incandescents ou explosifs, qui entourent la tête ou la taille.
Selon la commissaire Louise Déry, ces dessins où les fils se confondent avec la ligne, qui sont souvent des esquisses relatives à des projets de performance ou de sculpture, montrent bien cette préoccupation de Jana Sterbak pour la circulation et la transmission de l’énergie, qu’elle soit physique, mentale, ou organique. L’artiste utilise divers éléments de sa grammaire graphique, et notamment les diverses formes du trait, comme si celui-ci servait de vecteur et de limite aux illustrations organiques, pour évoquer visuellement cette circulation.
Louise Déry, qui incidemment est originaire du Saguenay, a pensé à cette exposition il y a quelques années, après une rencontre avec l’artiste: cette dernière, connue internationalement pour ses sculptures, lui a alors parlé de nombreux dessins qu’elle avait réalisés et jamais montrés publiquement.
Ayant manifesté son intérêt pour ces oeuvres, Louise Déry s’est retrouvée devant 200 dessins, de petit format pour la plupart, réalisés sur de simples feuilles, parfois des pages de cahier d’écoliers: elle en a choisi 36, qui constituent le coeur de l’exposition actuellement en cours à l’Oeuvre de l’autre. La commissaire a ajouté d’autres oeuvres de Jana Sterbak, de façon à ce que le visiteur ait une idée plus complète du travail de cette artiste.
Soit d’abord une série de neuf dessins grand format, réalisés au crayon de graphite. Chaque feuille est abondamment couverte de lignes et de formes évoquant des carrés ou des signes, et, du premier au dernier dessin, il y a une progression dans l’intensité du trait, correspondant à la densité du crayon utilisé: la teinte générale des dessins va donc du plus pâle au plus foncé. Jana Sterbak montre ici, dans cette série datant de 1977, à quel point le dessin ressemble pour elle à une écriture: c’est en réalité le même geste, la même énergie physique et mentale qui produit l’image ou les lettres.
L’exposition comprend aussi une fascinante série de cubes, que l’on prend d'abord pour des dessins. Mais en s'en approchant on se rend compte qu’ils sont en trois dimensions, tracés par des fils blancs enfilés dans le chas de multiples aiguilles qui, plantées sur un grand panneau mural, constituent les arêtes et les intersections de ces formes géométriques.
Deux sculptures enfin, peuvent être vues comme des traits d'union magistraux entre le graphique et l'organique: un bronze intitulé «Spare Spine» («Colonne vertébrale de rechange»), fine forme verticale posée à même le sol et s’élevant le long du mur. L’autre sculpture, intituée «Antennes», a été créée à partir d’antennes de homard enfilées dans un fil de nylon: ces deux formes tubulaires dessinent de fines lignes verticales qui descendent le long du mur, l'une des deux finissant par s'enrouler en spirale sur le plancher.
Recherches sur l'espace et le temps, réflexions philosophiques sur le monde, dessin vu comme un acte de la pensée, exploration des liens entre la science et l'art, voilà entre autres ce que l’on peut lire en visitant l’exposition «Penser tout haut».
Soulignons enfin que d’importantes expositions consacrées à l’oeuvre de Jana Sterbak, née à Prague en 1955, seront présentées au cours des années qui viennent en Suède, en Allemagne et au Musée d’art contemporain de Montréal.