Guylène Saucier

Peindre et écrire: deux gestes essentiels
novembre 2001

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Peindre et écrire: deux gestes créateurs, à la fois semblables et différents. Guylène Saucier éprouve profondément et régulièrement ces similitudes et ces différences, car l'une et l'autre activité lui sont également indispensables.
Il est très rare qu'un peintre apporte un roman en même temps que ses toiles lors d'un vernissage, ou qu'un romancier expose des toiles au lancement de son plus récent ouvrage. C'est l'originalité de Guylène Saucier: elle est arrivée à la galerie la Corniche avec une trentaine de nouvelles toiles aux couleurs vives qui explorent le monde de l'enfance, (l'exposition se poursuit jusqu'au 23 novembre) et avec son plus récent roman, son troisième, intitulé «Le Cheval habillé de bleu», paru il y a deux mois chez Leméac.
Nous l'avons rencontrée à la galerie, la veille du vernissage, huit ans après sa dernière exposition solo à La Corniche. La peinture occupe la plus grande part de son activité professionnelle. Elle peint beaucoup, régulièrement, et malgré cela, les galeries canadiennes et québécoises dépositaires de ses oeuvres en manquent très souvent.
Processus
La principale différence, c'est qu'en peinture, il y a peu de distance, en temps et en réaction, entre l'acte créateur et le produit fini. «Le matin, j'entre dans mon atelier, dont les deux fenêtres, au nord et au sud, donnent sur la forêt. Je sors une toile blanche, je commence un croquis, je travaille pendant plusieurs heures, et à la fin de la journée, le tableau est terminé. Dès ce moment, je peux le montrer à d'autres personnes, qui peuvent le saisir d'un seul regard, être touchées ou non, faire des commentaires», explique l'artiste qui réside à St-Louis-de-France, près de Trois-Rivières.
L'écriture, par contraste, est le domaine de la lenteur, des  profondeurs, du secret. Même si on écrit une ou deux pages dans une journée, on n'a aucune certitude que ces pages seront intégrées à la version finale du roman: elle pourront être remaniées, changées, supprimées même. Et cette version finale ne sera prête que beaucoup plus tard, quelques années plus tard, dans le cas de Guylène Saucier, qui écrit très lentement. Une fois complété et édité, le livre demeure encore fermé: celui qui le tient entre ses mains n'en connaît pas le contenu, il devra l'emporter chez lui, prendre le temps de le lire.

Sujets
En ce qui concerne le contenu, Guylène Saucier explore aussi deux univers différents, selon qu'elle écrit ou qu'elle peint. Ses toiles mettent en scène de jeunes enfants saisis au milieu de leurs jeux et de leurs activités quotidiennes. Ils font du ski, patinent, jouent au hockey, vont à la plage, font leurs devoirs, jouent de la musique, attendent l'autobus scolaire. Tandis que ses livres racontent des histoires plutôt tragiques vécues par des adolescents ou des adultes. Dans «Le Cheval habillé de bleu», par exemple, un narrateur évoque la quête dans laquelle il s'est lancé plusieurs années auparavant, afin de retrouver un peintre mystérieusement disparu.
L'auteure a voulu, dans ce roman, explorer le phénomène de la fascination, en évoquant l'emprise exercée par un homme, séducteur et manipulateur, sur ceux qui entrent en contact avec lui. «C'est ce personnage, celui de Jacob, qui m'a portée du début à la fin du roman», dit-elle.
Malgré ces différences entre les deux techniques et ces deux types de contenu, le mécanisme de la création est semblable, pour Guylène Saucier. «J'écris de façon visuelle, je crois, mon roman est fait d'une succession de petites scènes, qui comme chaque tableau, racontent une histoire. Mes toiles montrent peut-être des enfants, mais ils s'adressent quand même aux adultes», dit-elle.
En peignant des enfants, elle cherche à saisir cet univers, sa légèreté, sa naïveté, et à transmettre l'émotion qu'elle ressent elle-même face à l'enfance, à sa propre enfance qui a été une période très heureuse. Ce n'est pas une reproduction fidèle, à caractère documentaire ou historique: les traits des visages demeurent flous, les vêtements et les scènes pourraient se situer à diverses époques: c'est un  monde rêvée, imaginaire.
Finalement, les idées et les objets circulent fréquemment d'un univers à l'autre. Par exemple, le personnage principal du roman est un peintre, un être accessible donc en quelque sorte pour Guylène Saucier l'auteure. De plus, elle a peint à l'aquarelle la toile intitulée «Le Cheval habillé de bleu»: c'est le titre du tableau ... et du livre. Un tableau portant ce titre joue un rôle important dans le roman. «Je n'ai pas cherché à peindre la toile exactement comme elle est décrite dans le roman, mais plutôt à exprimer l'émotion véhiculée par la toile tout au long du récit», explique l'artiste.