La charge narrative d'une vieille chaise
août 2001
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - L'installation la plus imposante que présente Guy Blackburn à Espace Virtuel est aussi la plus récente, celle qui donne son titre à l'exposition: «Aiguiser l'ailleurs». La maison la Chasse-Galerie lui a proposé de réaliser une oeuvre installative à partir d'un objet insolite du folklore québécois, les deux éléments devant constituer le sujet d'un court métrage documentaire produit par les Productions Thalie à Québec.
Si les installations de Guy Blackburn ont toujours une forte charge narrative, c'est encore plus vrai pour celle-ci, que l'artiste a conçue en se racontant une histoire à propos de l'objet qu'on lui a soumis, à savoir une très vieille chaise de bois, sur laquelle l'oncle du cinéaste Martin Rodolphe s'asseyait pour aiguiser son sciotte. S'inspirant du sciotte et de la chaise qu'il avait pour ainsi dire imbriqués l'un dans l'autre, Guy Blackburn a conçu une oeuvre qui scie littéralement en deux la grande salle d'Espace Virtuel, par le biais d'une lame industrielle qui déroule ses dents le long d'un double panneau.
Pour faire contrepoids à l'aspect menaçant de la lame, l'artiste a installé par-dessus celle-ci un «vêtement» de voile blanc transparent, soutenu par des structures en barreaux de chaise dont l'éclairage reproduit la forme sur le tissu lui-même. Ceci confère à l'oeuvre de la sensualité, de la poésie, dit l'artiste, qui a aussi, pour compléter le tout, façonné sur un tour à bois 200 barreaux de chaise dont certains sont empilés au fond de la salle. «Si l'homme s'installait sur une chaise pour aiguiser sa scie, c'est qu'il voulait travailler à l'aise. Et s'il était confortablement installé, accomplissant des gestes qu'il connaissait par coeur, il pensait probablement à tout autre chose qu'au travail qu'il était en train de faire: il a peut-être eu des pensées sensuelles, des rêves érotiques», suppose l'artiste.
Notons que toute la pièce, avec ses voiles, ses structures de bois, ses cordages et ses anneaux, donne l'impression d'un grand vaisseau prêt à prendre le large.
Retour aux sources
Guy Blackburn est un de ces exilés saguenéens sur qui la région natale exerce un tel attrait qu'un jour, ils prennent la décision d'y revenir. Après avoir obtenu un baccalauréat en arts plastiques de l'UQAC, il a travaillé à Trois-Rivières, et pendant six ans à Montréal. Puis ce natif de Chicoutimi a eu un choix à faire: «j'avais l'impression de voler du temps pour pouvoir créer à Montréal, car j'étais sollicité de partout, mon atelier était devenu un bar où se rencontraient tous les artistes, et je ne pouvais pas non plus y travailler la nuit pour ne pas réveiller les gens de ma famille», raconte-t-il.
Alors il a pris la décision de poursuivre son travail à Chicoutimi, histoire entre autres de faire mentir l'opinion selon laquelle tout se fait à Montréal. Un an plus tard, en 1990, il réalisait l'exposition d'ouverture de la galerie Skol, à Montréal, avec quatre installations. L'événement a eu un impact médiatique considérable, critiques et artistes s'étonnant et se réjouissant d'accueillir un créateur de cette trempe qui venait de l'extérieur de Montréal.
Ce qui a fait bien plaisir à Guy Blackburn, qui trouve ici l'énergie, le temps et les stimulants nécessaires à la création. Depuis, il a souvent créé l'événement, en matière d'art, par ses installations et interventions à la fois originales et pleines de sens. On se souviendra notamment de «Quémander l'affection», une installation d'abord présentée à Chicoutimi, puis devenue exposition itinérante installée dans une «vanne» qui a parcouru neuf villes du Québec.
Guy Blackburn a été aussi à l'origine du regroupement d'artistes et de la fondation des Ateliers ToutTout, installés depuis peu à l'école St-Joseph, dans le secteur du Bassin. Il a exposé régulièrement, seul ou en groupe, au Québec en en Europe, initiant aussi des actions et interventions où la création artistique s'ouvre sur un message à caractère social. Récipiendaire de plusieurs bourses, il enseigne, donne des conférences et participe à des comités et jurys dans le domaine des arts.