L'oeuvre picturale du grand poète
août 2001
par Denise Pelletier
JONQUIERE(DP) - «L'univers de Saint-Denys Garneau» est une des plus étonnantes expositions présentées au CNE ces dernières années. Étonnante parce qu'elle nous fait découvrir un aspect tout à fait inconnu jusqu'ici de l'activité créatrice du poète québécois.
Et d'autant plus surprenante que l'univers du peintre apparaît comme totalement différent ce celui de l'écrivain. Si ce dernier, dans ses rares écrits, apparaît comme un être tourmenté et inquiet, sa fin précoce (en 1943 à 31 ans) succédant à une grave crise intérieure et à une période de silence littéraire, le peintre quant à lui offre l'image d'un homme jetant un regard tranquille et affectueux sur les paysages qui l'entourent, tentant d'en exprimer les beautés tout en s'accordant le plaisir de jouer avec les formes et les couleurs.
Ainsi les prévisions que l'on pourrait faire sur le travail pictural du poète Hector de Saint-Denys Garneau en s'appuyant sur ses écrits sont-elles déjouées. Par ailleurs, le grand nombre de toiles exposées permet d'apprécier complètement les diverses facettes du travail du peintre. Il semble en effet que les 56 tableaux qui constituent le coeur de l'exposition présentée au CNE représentent presque la totalité de la production picturale connue à ce jour de Saint-Denys Garneau. On apprend avec étonnement, en consultant le très beau catalogue réalisé par le Musée d'art de Joliette, que ces toiles n'étaient pas du tout connues du public avant 1993. Lui qui s'inquiétait tant d'être reconnu comme écrivain et qui vivait très mal le moindre soupçon de critique ou même d'indifférence à l'égard de ses écrits, ne s'est jamais préoccupé des réactions qu'auraient pu susciter ses tableaux, qu'il n'a d'ailleurs pas cherché à montrer publiquement.
L'exposition a été préparée par France Gascon, directrice du Musée d'art de Joliette, avec le concours de l'écrivain Yves La Roque de Roquebrune, neveu de Saint-Denys Garneau et qui a hérité d'une bonne partie de la production picturale de son oncle à la mort de celui-ci. L'exposition comprend également des oeuvres de peintres contemporains de l'écrivain, notamment Jean Palardy, John Lyman, Edwin H. Holgate, accompagnées de critiques et commentaires écrits par Hector de Saint-Denys Garneau (qui, incidemment, était le cousin d'Anne Hébert) sur ces oeuvres. Il y a aussi les aquarelles réalisées par Saint-Denys Garneau pour illustrer le roman «Les désorientés» (qui ne fut jamais publié) de Pierre Dansereau, son ami et confrère au collège Sainte-Marie de Montréal, et enfin des extraits de lettres à des amis où il parle de sa peinture.
S'il a abondamment parlé de ses joies et de ses déceptions de peintre dans sa correspondance, Saint-Denys Garneau ne s'est pas comporté en «professionnel» de la peinture: il n'a pas donné de titre à ses toiles, ne les a pas datées, n'a pas cherché à les vendre, n'a pris contact avec aucune galerie d'art. Bref, c'est comme si la peinture avait été pour lui un dérivatif, un aimable passe-temps.
Impression qui se corrige cependant quand on examine attentivement les toiles, regroupées dans l'exposition selon des thèmes tels que «À la ville», «Saisons», «La nature traversée» ou «Palette et géométrie». Le peintre a vraiment un style qui lui est propre, à travers lequel il sait faire passer, faire exister, sa vision des choses. Mais il donne toujours la priorité, justement, à ces objets, à ces paysages, à ces scènes et à l'atmosphère qui s'en dégage: jamais les caractéristiques de son style ne deviennent systématiques, il se tient loin du formalisme et de l'abstraction, même s'il connaît manifestement fort bien (ses écrits le prouvent) la grammaire et les enjeux de la pratique picturale.
Le principal sujet de ses toiles de petit format est le paysage: il peut être uniquement végétal, grandes étendues traversées d'arbres, mais le plus souvent il s'y trouve des habitations, maisons, granges, églises, qui découpent des espaces colorés et lumineux sur des étendues neigeuses ou verdoyantes. La découpe est parfois assurée par le bleu d'une rivière, l'ocre d'un banc de sable ou le brun orangé d'un sentier. Saint-Denys Garneau a aussi peint des scènes plus «urbaines», où il s'approche de son sujet, bout de rue, fenêtre, arrière-cour, pour lui donner un caractère plus intime, et quelques très rares personnages ou scènes d'intérieur. De l'ensemble se dégage une impression de joie, d'harmonie, de sérénité.
Une exposition à la fois fascinante, étonnante et belle que «L'univers de Saint-Denys Garneau», présentée au CNE jusqu'au 14 octobre.