Guy Blackburn

Le bunker antinucléaire inspire l'artiste
août 2001

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Le blanc, l’espace médical, la prison, la blessure physique et morale, les enjeux politiques et sociaux: quand on sait que ces objets et préoccupations font partie depuis longtemps de l'univers esthétique de l’artiste Guy Blackburn, on comprend qu’il ait trouvé très stimulante l'invitation qui lui a été lancée l'été dernier par le Musée canadien de la Guerre Froide.
C’est bien ainsi que s’appelle maintenant le bunker antinucléaire du gouvernement canadien construit à la fin des années 50 à Carp, près d’Ottawa, mais il est aussi connu sous le nom à la fois ludique et ironique de Diefenbunker, puisqu’il fut édifié sous le règne du premier ministre John Diefenbaker. Treize créateurs ont donc été réunis par le centre d’artistes AxeNÉO7, situé à Hull, pour y monter des installations en rapport avec le lieu: l'exposition, présentée du 15 juillet au 31 octobre 2000 s'intitulait «Fissions singulières».
Guy Blackburn a tout de suite pensé qu’il serait intéressant de relier symboliquement, par quatre oeuvres occupant autant de salles, les quatre étages du bâtiment entièrement situé sous terre. Les oeuvres qu’il a réalisées alors sont maintenant présentées au centre d’artistes Espace Virtuel, de Chicoutimi, en même temps que sa nouvelle installation, «Aiguiser l'ailleurs», jusqu'au 1er septembre.

En nous faisant faire le tour du propriétaire, Guy Blackburn explique qu’il voulait perforer symboliquement les planchers du bunker en installant ses oeuvres dans quatre salles superposées, établissant ainsi une communication entre les quatre étages de cet édifice voué par essence au cloisonnement et au confinement.
Il a eu recours, selon son habitude, à des matériaux tels que tissu, bois, objets de récupération, métal, pour meubler ses salles blanches qui s'offrent comme des refuges, des chambres de convalescence pour la mémoire et le corps blessés. Les blessures renvoient aux soins, qui eux-mêmes ressemblent parfois à des agressions.
Il explique que les oeuvres correspondent aux quatre pouvoirs agissants dans la société, qui auraient sûrement été présents dans la structure sociale mise en place dans le bunker, s’il avait fallu utiliser celui-ci en cas d’attaque nucléaire: pouvoirs politique, économique, militaire, religieux.
Le pouvoir économique correspond à l’oeuvre intitulée «La réserve de beauté»: très complexe, elle comporte des lits ou morceaux de lits d’enfants, des échelles, barreaux et pattes, des paquets de tissu, le tout superposé et surmonté d'un miroir rond qui touche presque le plafond et fait penser à celui que l'on trouve dans une salle d'accouchement: «j’ai voulu remplacer la réserve d’or par une réserve de beauté», dit l'artiste. La beauté de l’enfance, comme une réalité qui adviendrait même dans un milieu confiné, ou comme l’idée, le souvenir, la nostalgie d’un passé révolu.
L'installation évoquant le pouvoir militaire, intitulée «La récolte du jeune soldat», comprend une multitude d'objets:  rubans et médailles militaires, pièces de caoutchouc évoquant des morceaux de chair, étagère chargée de draps et de pompons blancs, chariot dont la tige maintient un oreiller au mur. L’essentiel demeurant la figuration d’une fenêtre «dans un endroit où il n’y en a pas», associée à une accumulation d'objets, et par conséquent de sens, autour de la mentalité, de l'appareil et des codes militaires, des notions de sacrifice, d'honneur et de mort.
Par contraste, l'oeuvre qui représente le pouvoir politique, «Protection politique», est fort dépouillée, consistant entre autres en un drap dont le centre a été découpé: en lieu et place du tissu, l'artiste a abondamment étendu sur le plancher cette crème de zinc qui sert à protéger la peau: c'est bien entendu une fausse protection, dit-il, rappelant que le monde politique a bien peu réagi à l'escalade nucléaire.
Le pouvoir religieux est évoqué par une structure d'échelles superposées formant une cage entourée de voilages, dans laquelle ont été placés quelques accessoires du culte, et qui repose sur des piles d'exemplaires du Nouveau Testament: si la religion offre un refuge aux âmes inquiètes en cas de crise, il s'agit là, tout comme son installation qui évoque une cage d'oiseau, d'un «Abri précaire», explique Guy Blackburn avec l'ironie qu'on lui connaît.