Frédéric Laforge

Réfléchir en transgressant les tabous
mai 2001


par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Frédéric Laforge sera très occupé dans les mois qui viennent. Bien qu'il soit encore étudiant (à la maîtrise en arts de l'UQAC), ce jeune créateur a déjà derrière lui quelques réalisations, expositions, événements, et surtout une démarche esthétique qui pour le moment confère à son travail une orientation précise et une incontestable cohérence.
En entrevue dans l'atelier hyper-encombré qu'il partage avec d'autres étudiants au pavillon des arts de l'UQAC, devant quelques-unes de ses peintures où se côtoient les motifs répétitifs légers évoquant le style de la bande dessinée et les images choc de corps tordus, torturés, pendus, Frédéric Laforge nous parle de ses projets et des événements auxquels il a déjà participé, tout en nous expliquant le sens de son travail.
Il participera par exemple à l'événement Art Transmédia, organisé par la fondation Danaé à Jarnac en France, du 15 au 30 juin prochain. Le groupe d'artistes DeLaBeLa, qu'il forme avec Patrick Desbiens, Stephan Bernier et Hugo Lachance (le nom du groupe est la somme des premières syllabes du nom de chacun des membres), sélectionné sur la recommandation de Langage Plus, ira effectuer là-bas un travail «in situ». S'il ne sait pas quelle sera la nature ou le résultat final de ce travail, Frédéric Laforge a cependant déjà mis au point, avec les autres membres du groupe, la manière originale dont ils vont recueillir les éléments de base pour le réaliser. «Nous allons passer par les maisons et demander aux gens de nous fournir des objets désuets, des choses dont ils ne se servent plus», dit-il. Cette quête préalable aura entre autres pour effet, croient les artistes, d'établir un contact particulier et concret entre eux et les 5000 habitants de ce petit village charentais. Ils vont ensuite élaborer leur création autour des objets ainsi recueillis.

Par ailleurs au Québec, Frédéric Laforge participera, et plutôt deux fois qu'une, à la Biennale du dessin, de l'estampe et du papier-matière, qui se déroulera du 16 juin au 12 août prochain à Alma. Il a en effet été choisi pour la sélection officielle à l'issue du concours, tout comme l'a été Hugo Lachance, un autre membre de DeLaBeLa, et tous deux auront aussi des oeuvres dans une exposition parallèle intitulée Génération N (pour numérique) qui réunira un groupe de jeunes artistes.
Par ailleurs, il assume, avec Hugo Lachance, l'organisation d'un événement majeur qui sera tenu par le collectif Medium Marge en septembre prochain. Rencontres, performances, land art, work in progress: diverses activités de création réuniront une dizaine d'artistes et, on l'espère, un public nombreux.  Les deux organisateurs travaillent depuis presque un an à l'élaboration du concept.
L'été dernier, Frédéric Laforge était l'un des 12 jeunes créateurs sélectionnés au 18e Symposium international de la nouvelle peinture de Baie-Saint-Paul. Il a trouvé l'expérience tout à fait stimulante. «Travailler devant les gens, être plongé dans le grand public pendant un mois, c'était très spécial, très concret», dit-il. Il a dû expliquer le sens de son travail à des non-spécialistes, parmi lesquels de jeunes écoliers.
Ce n'est pas évident de faire comprendre à des enfants pourquoi il y a du sang, des idées de violence sur une toile. «J'ai adapté mon discours pour leur expliquer c'est quoi l'univers du tabou, et comment je procède au mélange des codes entre cet univers et celui de la culture populaire», raconte-t-il. Expliquer aussi que ces évocations qui peuvent paraître choquantes n'ont pas pour but de provoquer les gens, mais peut-être plutôt de provoquer la réflexion.
Pour alimenter sa réflexion sur l'interaction entre l'univers de la culture populaire et celui du tabou, il lit beaucoup. Le marquis de Sade, Georges Bataille. Et «L'inévitable», de Jean-Paul Roger, qui vient tout juste de paraître aux édition XYZ. Le narrateur décrit les relations incestueuses qu'il a été forcé d'avoir avec son père quand il était enfant et met en relief l'ambiguïté d'une situation où la souffrance côtoie le plaisir pervers.
Mais tout ce qu'il voit et fait nourrit le travail de Frédéric Laforge, cela peut être aussi bien une bande dessinée qu'un film de Sergio Leone. Ou encore un voyage, comme ce séjour de coopération au Cameroun il y a deux ans. Il s'y est imprégné des gens, des paysages, de la lumière, des teintes: «ce n'est pas en arrivant là-bas, mais plutôt en revenant au Québec, que j'ai éprouvé un véritable choc», dit-il, ajoutant que tout cela lui apporte sans doute une vison plus juste du monde tout en se frayant un chemin dans certaines parties de son travail.