Jean-Paul Lapointe

Peindre et vivre dans le paysage
janvier 2000 (artiste décédé en 2007)

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Il dessinait depuis qu'il savait tenir un crayon et quand il a eu cinq ans, sa mère lui a offert un ensemble pour la peinture à l'eau: quelques couleurs, du papier, un pinceau. Il a tout de suite commencé à s'en servir et n'a pas cessé de peindre depuis.
«Nous vivions sur une ferme à St-Charles-de-Bourget (Borromée autrefois) et ma mère y avait un grand jardin que j'ai peint au moins une centaine de fois», raconte Jean-Paul Lapointe, car c'est de lui, à qui l'on doit tant de toiles lumineuses inspirées des paysages du Saguenay-Lac-Saint-Jean, qu'il s'agit. C'est peut-être là qu'il faut situer la naissance de cette passion qu'il éprouve encore aujourd'hui pour la peinture. Par ailleurs, sa mère, habile de ses mains et qui savait tout faire, et son père, ébéniste, lui ont transmis, ainsi qu'à ses dix frères et soeurs, une habileté naturelle dont il a bien su tirer parti.
Un autre événement l'a motivé davantage encore: c'est sa rencontre, alors qu'il était écolier, avec le peintre René Bergeron. Celui-ci donnait des conférences et au cours de l'une de celles-ci, il avait projeté un film: le premier que voyait Jean-Paul Lapointe. Vivement impressionné, il est allé parler au peintre ensuite, lui confiant qu'il aimait aussi faire de la peinture. (autre texte ici)

Plus tard, ses parents ont déménagé à Kénogami, et dès que Jean-Paul Lapointe, âgé d'une douzaine d'années à l'époque, avait un samedi après-midi libre, il enfourchait sa bicyclette et pédalait jusqu'à Chicoutimi: il se rendait à l'Art Canadien, la boutique de René Bergeron. Il écoutait celui-ci parler, «c'était un grand raconteur», rencontrait les autres peintres et surtout, il regardait les toiles, signées notamment Stanley Cosgrove, Marc-Aurèle Fortin, René Richard. A leur contact, il a beaucoup appris.
Il aurait aimé étudier à l'École des Beaux-Arts, mais, né dans une famille de 11 enfants, il n'en avait pas les moyens. Il a donc fait son cours d'infirmier et travaillé en orthopédie à l'hôpital de Chicoutimi: une période de six ans pendant laquelle il n'a pas touché à la peinture.
Mais un jour le besoin s'est fait impérieux, il s'est remis à ses pinceaux. C'est par essais et erreurs qu'il a obtenu les résultats qu'il recherchait. Il a rencontré madame Claire Frève, à qui il a parlé de son travail. Elle est allée voir ses toiles chez lui à Arvida, et a décidé immédiatement d'organiser une exposition: sa première exposition solo, qui eut lieu en mars 1973 à l'hôtel de ville d'Arvida. Il a abandonné le métier d'infirmier, mais comme il devait gagner sa vie, il est devenu représentant en pièces industrielles, un travail à temps partiel qui lui laissait beaucoup de liberté pour peindre.
C'était une période intense de production: «chaque année, je présentais deux expositions en solo et je peignais entre 200 et 225 toiles», dit-il, ajoutant qu'aujourd'hui, il expose moins et peint environ une centaine de tableaux chaque année. Et cette diminution n'est pas due à la fatigue ou à la lassitude: «je suis devenu plus exigeant, je veux que chaque toile soit unique, différente des autres, et cela me demande beaucoup de temps», explique-t-il.
Dans sa vie de peintre, il a connu plusieurs époques: au début, ses paysages dépouillés avaient quelque chose de lunaire et leur onirisme était sans doute dû au fait que Jean-Paul Lapointe estimait que peindre, c'était produire du rêve. Ensuite, son style s'est modifié, il est passé de l'acrylique à l'huile puis à nouveau à l'acrylique, médium qu'il a définitivement adopté. A certaines périodes, ses couleurs étaient vives, agressives: «la peinture, c'est une forme d'écriture, comme la musique ou l'écriture même», dit-il, alors ces différentes périodes correspondaient à des états d'âme, à des sensations et sentiments qu'il éprouvait.
Il a toujours peint très régulièrement, chaque jour: c'est un besoin pour lui, et il ne s'attend pas à ne plus l'éprouver un jour. La retraite, ce n'est pas pour les peintres, dit-il, évoquant son ami Francesco Iacurto, qui, à 92 ans, va encore chaque jour passer quelques moments dans son atelier.
Ce qu'il cherche, c'est à dire quelques chose d'une façon qui soit chaque fois différente. Partant de ses croquis, il essaie de créer une atmosphère. Il s'agit encore pour lui de réaliser un rêve, même si aujourd'hui, il s'est dégagé du sens littéral de l'expression et propose des paysages en quelque façon plus réalistes, moins lunaires que ceux des débuts. La composition est important, mais elle vient de la tête: ce qui vient du coeur compte davantage, explique-t-il.
Il nous raconte tout cela dans sa maison, perchée sur les hauteurs de Chicoutimi-Nord, d'où il a une vue superbe sur la ville et sur le Fjord. Mais si cette vue l'enchante et l'inspire, il ne se contente pas de regarder: il va au sein même de ces paysages qu'il veut peindre. Grand amateur de nature et de plein air, il aime parcourir les sentiers et les montagnes, par exemple quand il séjourne dans son chalet de l'Anse-Saint-Jean.
Il le fait certes pour son plaisir, mais aussi pour capter des sujets, prenant des croquis surtout dans les régions du Saguenay et de Charlevoix. «Il y a des montagnes dans presque toutes mes toiles, c'est une nécessité», dit-il.