Les sombres desseins de Lady Macbeth
février 1996
par Denise Pelletier
JONQUIERE (DP) - Rarement aura-t-on vu, pour une exposition, un titre aussi long et complexe que «Gruoch, petite fille du roi d’Alban, Lady Macbeth ou la mort en personne». C’est que Guy Langevin voulait bien dès ce titre délimiter sinon le sujet du moins la source d’inspiration de l’exposition qu’il présente au Centre national d’exposition jusqu’au 8 avril.
Et elle est très précise cette source, puisqu’il s’agit de l’adaptation qu’a faite Robert Lepage du «Macbeth» de Shakespeare. «Un jour, raconte l’artiste, j’ai vu un reportage à la télévision sur le spectacle de Lepage. Je venais de terminer une production, j’étais en attente, ouvert à tout ce qui pourrait me guider vers une nouvelle oeuvre. Le déclic s’est produit: Lady Macbeth (dont le nom est Gruoch), est un personnage ambigu, qui aime et qui tue: c’est l’amour et la mort, éros et thanatos, deux thèmes que j’aborde dans toutes mes créations. Et c’était particulièrement mis en évidence dans le spectacle de Robert Lepage.»
Voilà pour l’idée, il fallait ensuite passer à la réalisation. Obtenir l’autorisation de Robert Lepage pour prendre des photos à une représentation, d’abord. Les contacts se sont faits par l’intermédiaire de la comédienne Marie Brassard, qui jouait Lady Macbeth. Après avoir pris plus de 300 photos lors d’une représentation, Guy Langevin a installé ces clichés au mur, et les a examinés, tout en consultant le livret de Michel Garneau afin de choisir les éléments à traiter. Cela représente six mois de recherche, de réflexion: «six mois pendant lesquels j’avais l’air de ne rien faire», dit l’artiste avec une pointe d’ironie.
Ensuite ce fut le travail de réalisation proprement dit. Qui a donné ce que l’on voit au CNE. L’exposition est conçue comme un ensemble, presque une installation, comprenant trois types d’oeuvres: de grandes toiles à l’acrylique, des dessins et des gravures.
Sur toutes ces oeuvres, des personnages sont représentés: Lady Macbeth, nue dans la plupart des cas, seule ou avec Macbeth, dans des attitudes de passion, de peur, de folie, correspondant aux trois étapes du récit: le complot et l’assassinat de Duncan, puis les remords et enfin la folie et la mort. Les sujets se détachent au milieu de la toile alors que les pourtours sont très sombres, selon une technique qui rappelle les procédés du clair-obscur. Le contraste entre le sombre et le lumineux exprime bien selon lui les contradictions entre les forces du bien et celles du mal qui s’affrontent dans l’âme de Lady Macbeth.
Et ce qui distingue vraiment ces toiles, c’est que dans la partie inférieure de chacune d’elle, les couleurs coulent littéralement en fines rigoles. «La pièce est très violente, il y a des combats et des meurtres, mais je ne voulais pas peindre directement ces actions. Alors j’ai imaginé de laisser couler les couleurs, du noir et du rouge surtout, pour évoquer le sang», dit l’artiste.
Même dans les dessins, réalisés en crayon blanc sur encre noire, il y a ces dégoulinades, représentées sous forme de traits noirs. Pour appuyer l’évocation d’un temps révolu qui se fait par le choix du sujet et l’utilisation du clair-obscur, la salle est plongée dans la pénombre, et entre deux séries de trois toiles suspendues au plafond (c’est ainsi qu’on accrochait les tableaux autrefois), un très long support de bois noir, dans lequel sont fixés une multitude de lampions allumés, traverse presque toute la salle, évoquant la nef d’une église médiévale.
Natif de Chicoutimi, Guy Langevin a quitté la région pour étudier en arts à l’Université du Québec à Trois-Rivières, ville où il s’est installé par la suite. Il pratique de front les techniques de la peinture, de la gravure et du dessin. Il a présenté plusieurs expositions individuelles un peu partout au Québec, y compris au Saguenay à quelques reprises. Il a participé à de nombreuses expositions de groupe et donné des ateliers dans plusieurs pays européens, aux Etats-Unis et au Japon. En avril, sa première exposition solo à Paris réunira les gravures qui font partie de «Lady Macbeth...».