Rêves de bonheur à la dérive
février 1998
par Denise Pelletier
JONQUIERE(DP) - L’installation de Sarla Voyer plonge le visiteur dans un univers de plages, de baignades, de voyages. «Aspirer, soupirer», présenté au CNE jusqu’au 1er mars, comprend des moulages de plâtre reproduisant des matelas pneumatiques, serviettes de plage, sacs de couchage, coussins, oreillers. Tout, ou presque, est de céramique blanche, et sur les sept matelas grandeur nature posés au sol sont distribués des objets tels des un albums-photos, une corde, une boîte. Par terre, des noix, également de céramique blanche. Seuls éléments qui ne sont pas de cette matière: un sac de plastique, un parasol (fermé) de plexiglas et une grande photo accrochée au mur.
L’illusion est fascinante: on croit tout à fait à prime abord qu’il s’agit de véritables matelas pneumatiques et coussins gonflables de diverses formes. Il faut presque les toucher, délicatement car c’est très fragile, pour se rendre compte que ces objets sont en réalité lourds et massifs.
Confronté à cette contradiction: la forme et la couleur qui évoquent quelque chose de moelleux et de doux, et la réalité de la sculpture, dure et froide, l’esprit part à la recherche du sens. On peut en trouver de multiples dans ce très beau travail de Sarla Voyer. Le voyage, bien entendu, est présent partout. Mais aussi l’immobilité: un lieu, plage ensoleillée, bord de mer, où on rêve de s’installer, de s’allonger, de dormir. Un lieu où l’esprit cesse de fonctionner, s’abolit au profit du plaisir du corps.
Par son travail, Sarla Voyer démolit le rêve. Quand tout est blanc, tout est forcément irréel, semblent nous dire ces matelas pneumatiques éparpillés dans la salle. Posés par terre comme au hasard, ils évoquent aussi des radeaux à la dérive, d’autant plus qu’ils ne sont pas (plus?) habités par une présence humaine.
Où est l’homme, où est l’esprit, peut-on alors se demander. Comme l’esprit est absent de ces lieux, le corps même ne peut finalement y trouver sa place. Au contact de cette froide constatation, le désir de plage, de soleil, de chaleur est placé devant sa propre inanité.
La perfection technique du travail de Sarla Voyer est d’une redoutable efficacité. On sort transformé de cette incursion dans la salle où elle présente «Aspirer, soupirer». On y voit d’abord des objets associés aux notions de «luxe, calme et volupté». Puis on s’aperçoit qu’il y a autre chose, le trouble s’installe. Tout n’est pas aussi lumineux que prévu, il y a des recoins sombres, des motifs plus ou moins avouables dans cette quête de lieux ensoleillés. L’allégorie de la dérive s’étend, s’applique à tout et à tous.
L’absence d’éléments humains suscite une inquiétude qui aboutit à une certitude: dans tout voyage, ce ne sont pas les paysages, mais les êtres qui importent. Comme dans la vie même.
Jeune artiste de Montréal considérée comme une figure montante de l’art québécois actuel, Sarla Voyer a exposé entre autres au Centre des arts contemporains du Québec à Montréal. Son exposition «Aspirer, Soupirer» a été présentée au Centre d’exposition Circa, Art Céramique contemporain.