Les rayons obliques du regard
février 1998
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Isabelle Hayeur, artiste de Montréal, combine et oppose des photos de paysages et de personnages pour explorer et mettre en évidence le rôle du regard en art. C'est l'objet de l'exposition, «Les instants détournés», qu'elle présente à la galerie L'Oeuvre de l'autre jusqu'au 27 février.
Elle propose quatre oeuvres comprenant chacune une grande photo de paysage, à côté de laquelle il y a une ou deux autres photos de personnages. Grandeur nature, ces dernières ont été découpées le long des contours et collées sur un support ferme. Par exemple, de chaque côté d'une photo de style classique représentant un cygne et des poussins, on trouve, à gauche, un personnage d'homme portant veste rouge, sifflet et tenant un poisson dans une main, et à droite, un chien au pelage noir et frisé.
Une autre photo, beaucoup plus longue que haute, représente un bord de mer, avec de l'écume fouettant les rochers et le sable. Au-dessous, la photo au contour découpé d'un enfant en maillot, qui semble courir le long de la plage tout en la regardant.
De cette façon, l'artiste intervient dans un processus qui semblait consister au départ à photographier des gens dans un cadre considéré comme enchanteur. En découpant les personnages et en les plaçant à l'extérieur du paysage, elle brise l'élan original et les dissocie donc de leur cadre. Ce qui a pour effet de modifier le regard que porte le visiteur sur ce type de photo. Son regard devient en quelque sorte le même que celui des personnages découpés, qui sont de dos ou qui ont la tête tournée vers cette même photo.
Une distance est établie, le «beau paysage», figuratif comme la mer ou le cygne, ou plus abstrait comme cette surface bleue où se reflète une lumière rose ou encore ces éléments flous qui ressemblent à des rochers, devient objet d'examen, de réflexion. On le regarde avec des yeux qui critiquent, qui interrogent, qui se demandent qu'est-ce qui, dans les paysages ou dans la nature, nourrit les rêves d'évasion et de beauté qui viennent régulièrement nous consoler des vicissitudes de la vie.
Quelle que soit la réponse individuelle trouvée par chacun à ces interrogations, Isabelle Hayeur met en évidence, dans son travail, la dualité entre nature et culture qui teinte la pensée occidentale depuis des siècles, et qui aboutit à l'établissement de parcs, de réserves où la nature est conservée. Venant des villes où domine la «culture», celle des constructions humaines, maisons, édifices, usines, les gens vont voir ces parcs en touristes.
Ils les regardent de l'extérieur, comme si la nature était un spectacle auquel on assiste plutôt qu'un monde dont on fait partie: l'expérience médiatique remplace l'expérience sensible.