L'élan créateur dans sa pureté
juin 1995
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI (DP) - Elle est très intéressante cette exposition Arthur Villeneuve présentée par le Musée du Saguenay-Lac-Saint-Jean cet été, et c'est sans doute là qu'il faut se rendre si on veut avoir une idée précise de l'oeuvre accomplie par le peintre-barbier sur sa propre maison.
Si tout va comme prévu, on pourra bien sûr visiter dès l'an prochain la maison elle-même à l'intérieur de la Pulperie, mais l'attention des visiteurs sera peut-être alors dirigée d'abord vers l'aspect extérieur de la maison, vers l'édifice historique (1921) qui l'abrite, et vers l'installation muséale elle-même. Bref vers une foule de détails qui distrairont le regard de l'entreprise créatrice elle-même. Or il est possible aujourd'hui d'apprécier celle-ci dans toute son originalité en visitant cette exposition qui met l'accent sur le travail de l'artiste.
On a donc décroché les 12 portes de la maison du peintre pour en faire le centre de l'exposition, leur ajoutant plusieurs toiles et dessins, des reproductions photographiques agrandies de parties de murs, et aussi les trois «chefs-d'oeuvrage» que Villeneuve a bricolés avant de se lancer dans le peinture.
Et comme c'est le cas pour les expositions de la Biennale, il est fortement conseillé de demander les services d'un des quatre animateurs pour une visite guidée. Suzie Perron par exemple, m'a souligné des aspects de l'oeuvre fort intéressants et m'a donné des renseignements que j'estime précieux même si je connaissais déjà le peintre, l'oeuvre et la maison.
Les trois chefs-d'oeuvrage sont fascinants: Villeneuve a construit un bateau, un phare et une horloge, avec minutie, se servant de ce que les artistes appelleraient aujourd'hui des matériaux de récupération, bouts de bois, colle, papier, personnages en métal ou en plastique pigés dans les jouets des enfants. Si le bateau est reproduit avec minutie comme une maquette, la vision symbolique de Villeneuve se manifeste dans l'horloge et dans le phare.
La guide nous fait comprendre aussi que les premiers arbres de vie peints par Villeneuve, que l'on trouve au rez-de-chaussée de la maison, sont petits, grisâtres, sans fruits. Alors qu'à l'étage, Villeneuve a peint un arbre de vie plus grand, vert et donnant des fruits, comme s'il avait pris de l'assurance à mesure que progressait cette entreprise énorme qui consistait à peindre tous les murs de sa maison, tâche à laquelle il a consacré deux ans.
On aperçoit à l'entrée de la salle les deux portes coulissantes qui séparent le salon de la cuisine. Elles faisaient partie de l'exposition Villeneuve présentée en 1972 au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Plus loin se trouve la porte du garde-manger, à laquelle est reliée une anecdote: Villeneuve l'avait peinte complètement, y compris la partie vitrée, qui fut un jour cassée accidentellement par sa femme. Désolée, celle-ci a ramassé tous les morceaux de vitre et proposé aux enfants un puzzle très spécial: reconstituer l'image peinte par leur père. Les morceaux furent ensuite remis en place et fixés avec de la colle ordinaire: on distingue les fines craquelures dans cet ensemble qui tient toujours.
La guide attire aussi notre attention sur les visages et les corps d'humains, d'animaux, qui s'intègrent à un fond souvent chargé: c'est ce que Villeneuve appelait la «continuance», qui marquait l'importance de la spiritualité, de la croyance, de la vie de l'âme qui imprégnaient la vision que posait Villeneuve sur tout ce qui l'entourait. Par exemple, dans une toile représentant le pont de Sainte-Anne, on peut distinguer dans une colline, si on regarde bien, le corps étendu d'un homme, ainsi que l'hélice et la queue d'un avion. Villeneuve intègre ainsi à ce paysage un accdident d'avion qui était survenu à ce moment et dont il avait entendu parler.
En même temps, on constate combien tout ce qu'il voyait, entendait ou lisait, l'inspirait immédiatement dans son art: les paysages et les sites comme le pont de Sainte-Anne, le port de Chicoutimi, la centrale de Shipshaw, l'hôpital de Chicoutimi, entre autres cette grande toile où les locaux sont représentés en coupe, prêtée par le musée des Beaux-Arts pour la durée de l'exposition. Villeneuve illustre aussi des événements ponctuels ou historiques comme l'inauguration de CJPM, la fermeture de la Pulperie, l'arrivée de Jacques Cartier. Sans se soucier d'exactitude topographique ou chronologique, Arthur Villeneuve propose des fusions temporelles ou des rapprochements géographiques qui résultent de sa vision personnelle et qui ouvrent au visiteur des horizons nouveaux.
Bref, l'exposition montée par le Musée du Saguenay-Lac-Saint-Jean, très justement sous-titrée «L'oeuvre étonnante d'un homme du peuple», réserve encore des surprises, des découvertes et une émotion intacte même pour ceux qui connaissent déjà cette oeuvre. On y découvre, ou retrouve, un artiste vrai, qui n'a jamais quitté la voie que, croyait-il, le Seigneur lui avait indiquée: il a oublié tout le reste pour livrer un message qu'il jugeait important, ne récoltant souvent que moqueries et quolibets.
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