Dans l'Ossuaire, la fragilité du vivant
janvier 2001
par Denise Pelletier
LA BAIE(DP) - Sous le titre «Ossuaire», Caroline Monette présente au Musée du Fjord une exposition tout à fait remarquable: elle s'est servie de matériaux divers pour construire des tableaux qui évoquent les ossements de grands cétacés.
Au premier coup d'oeil, on croit voir de vrais squelettes, disposés dans des tableaux, et on s'attend à lire des explications techniques sur les petits cartons disposés au mur, comme s'il s'agissait d'une présentation de sciences naturelles. Mais en s'approchant des pièces, on constate que chaque image en relief a été construite au moyen d'une multitude d'éléments, et qu'il s'agit donc là non pas d'un objet prélevé dans la nature, mais d'une véritable oeuvre d'art.
Une oeuvre de patient labeur, d'ailleurs, car chaque partie est entièrement recouverte de petits morceaux de forme géométrique prélevés dans des magazines, découpés, déchiquetés, lacérés, puis superposés et collés sur le support. De plus, le choix des images n'a pas été fait au hasard, mais selon une sélection de formes et de couleurs qui donne à l'ensemble sa texture écailleuse et ses tons d'ocre, de terre brune ou rouge, d'or.
Quand on s'approche vraiment, on peut distinguer les sujets des images où ont été découpées ces petites pièces: meubles, étalages, maisons, églises et autres édifices, éléments d'architecture, de bois, de pierre, en général fabriqués par l'homme.
L'artiste détourne ce papier imprimé de sa fonction première et lui donne un nouveau sens, artistique celui-là. Et son procédé inclut aussi d'autres matériaux recyclés, tels bois, fil, papier journal, tissus et filets de pêche, qui sont intégrés aux collages: par exemple, de fines cordes dessinent les contours de plusieurs des formes.
En utilisant cette technique de collage, l'artiste a littéralement fabriqué des crânes et des nageoires de mammifères marins: à fanons ou mysticètes, soit le rorqual commun et la baleine franche, et à dents ou ondontocètes, le cachalot et le béluga. Ces «squelettes» sont collés sur des toiles de façon à former deux triptyques et un ensemble grand format de cinq modules. Ce dernier, disposé au fond de la salle, est le plus impressionnant de tous: l'artiste a «construit» un squelette complet de jeune baleine franche noire. L'oeuvre, grandeur nature, occupe cinq panneaux de 288 par 195 centimètres chacun. L'ensemble évoque indéniablement un suqlette de dinosaure. Sur les deux murs adjacents, deux triptyques de dimensions plus modestes offrent une représentation de crânes et de nageoires de mammifères marins d'apparence fossilisée. Dans certains cas, l'un des volets du triptyque est un cadre vide qui fait penser à une fenêtre. Fenêtre qui oriente la visite vers le propos fondamental de l'oeuvre.
Caroline Monette, on l'aura compris, ne visait pas l'imitation pure et simple en développant ses images d'ossements de cétacés. En mettant en évidence l'anatomie intime de ces mammifères, les os du nez, du front, des nageoires, elle évoque leur fragilité, celle des attaches et des articulations et celle de toute vie, car l'équation entre squelette et mort se fait très vite, qu'elle met en contraste avec leur puissance physique et leur taille impressionnante.
On décèle donc dans ce travail des préoccupations de nature environnementale et écologique, un intérêt pour les espèces menacées, et une capacité tout à fait remarquable à combiner étude scientifique et création artistique. L'ensemble, éclairé d'une façon particulière, est complété par un coffret de bois et de filet rempli de véritables ossements de baleine, appelé «Reliquaire». Dégageant beauté et noblesse, l'exposition est de nature à provoquer, chez le visiteur, des émotions diverses et contradictoires: admiration, curiosité, inquiétude, tristesse, par exemple.
Native de Pohénégamook, Caroline Monette vit et travaille à Saint-André de Kamouraska. Elle a réalisé plusieurs performances, présenté des expositions en groupe ou en solo, et complété sa formation universitaire par des études et recherches sur l'art du collage auprès de musées, galeries et centres de documentation.