Tenter l'autopsie du quotidien
janvier 2001
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Faire l'autopsie du quotidien: voilà tout un programme, et c'est celui que propose l'artiste Patrice Duchesne à Espace virtuel, jusqu'au 12 février, dans une installation intitulée «Autopsie au quotidien». Un défi vaste et complexe, d'autant plus que le quotidien en question n'est pas le journal qui porte ce nom, mais le quotidien de tout le monde et de tous les jours.
L'exposition comprend une multitude d'objets ou parties d'objets, tels matelas, ressorts, sacs de toile, courroies, boucles, tissus, planches à repasser, masques anti-poussière et autres instruments d'atelier, qu'il a détournés de leur fonction première et associés à son propre geste créateur, accompli au moyen de pinceaux et de crayons, pour en faire une installation à la fois familière et étrange, sympathique et incongrue.
Avec tous ces éléments, il construit un espace dans lequel il est question, nous disait-il lors d'un entretien réalisé à la galerie quelques heures avant le vernissage, d'ouverture et de fermeture, d'approche et de recul, un espace dynamisé par la performance qu'il a réalisée lors du vernissage, laquelle évoquait les actions accomplies pour modifier les éléments quotidiens dont il disposait.
Par exemple, il a éventré des matelas d'eau pour ne conserver que leurs enveloppes de plastique, auxquelles adhèrent encore, dans l'exposition, les dispositifs antivagues. Il a aussi recueilli tous les ressorts d'un matelas ordinaire, les a emballés dans de la toile, reliés entre eux et disposés sur les murs, par terre dans toute la salle, tels des sentiers qui mènent d'un point à l'autre.
Tout cela est associée à une imagerie corporelle. Sur une série de sacs de toile (ceux qui servent à transporter les bulletins de vote lors des élections), on aperçoit l'esquisse d'une tête humaine. Pour réaliser ces dessins, Patrice Duchesne a plongé sa tête dans chaque sac et tenté, à l'aveuglette, de la dessiner sur la toile. Dans la salle voisine, qu'il occupe également, il a réalisé des dessins sur des sacs de papier en y plongeant sa main et en dessinant directement avec des crayons et de la peinture, laissant couler les couleurs d'un sac à l'autre.
Cette idée de l'impression, de la trace, il l'a concrétisée dans une des actions posées lors du vernissage: au moyen d'un tampon-encreur, il imprimait un dessin de sa tête dans sa main, et, en serrant la main des invités, il imprimait le même dessin dans leur main.
Utilisant le visage d'une autre façon, Patrice Duchesne a filmé des gens, lui-même et une amie, en gros plan et en flou, produisant intentionnellement des images vidéo «trash», qui sont diffusés par deux moniteurs noir et blanc posés chacun sur une planche à repasser, d'où partent les bandes de ressorts qui pénètrent dans la salle à travers une porte et une fenêtre découpées dans un pan de mur.
Patrice Duchesne saisit donc les objets après qu'ils aient été utilisés et détruits. Plutôt que d'en faire une véritable autopsie afin de reconstituer leur histoire, à la manière d'un médecin légiste, il leur donne une nouvelle vie, en les intégrant à une oeuvre, comme il le fait pour le mot autopsie auquel il donne un nouveau sens. Il les tire de l'espèce de no man's land social et psychologique où ils se trouvent, et, par une série de gestes créateurs, provoque leur irruption dans la conscience du visiteur. Au contact de l'installation, celui-ci se trouve renvoyé à sa propre vie quotidienne et à des réflexions sur ses relations avec les objets qui l'entourent.
Patrice Duchesne, membre du collectif d'artistes ToutTout, détenteur d'un baccalauréat en arts de l'UQAC, s'est d'abord intéressé au développement des formes organiques, et il a toujours utilisé des matériaux de récupération dans ses installations et expositions. Sélectionné par le Symposium de peinture de Baie St-Paul en 1995, il a présenté ensuite quelques expositions, notamment en duo à Espace Virtuel en 1997, et l'exposition solo «Les nuits liquides», à Langage Plus en 1999. L'été dernier, avec une demi-douzaine d'artistes du saguenéens et montréalais, il a participé à un Festival d'arts à Jarnac, en France.