Jordi Bonet

Dans l'intimité d'un grand créateur
mai 2000

par Denise Pelletier

JONQUIERE(DP) - En parcourant «Le livre des naissances», la très belle exposition que présente le Centre national d'exposition jusqu'au 18 juin, on a vraiment l'impression d'entrer dans l'intimité de Jordi Bonet, d'être en contact avec l'âme de cet artiste décédé le 25 décembre 1979.
Jordi Bonet, peintre et sculpteur catalan né à Barcelone en 1932 (ne pas confondre avec l'autre Jordi Bonet, également catalan et architecte de la Sagrada Familia), s'est installé en 1954 au Québec, où il s'est fait connaître par ses sculptures et murales de céramique, dont la plus célèbre est celle du Grand Théâtre de Québec. Il a réalisé des murales au Saguenay, entre autres à l'église St-Raphaël, au Cégep et à l'hôtel de ville de Jonquière (Arvida).
Un très beau triptyque placé sur un mur voisin de la salle d'exposition au CNE donne une excellente idée du style de Jordi Bonet, muraliste. Selon les renseignements fournis par Rémi Lavoie, animateur culturel au CNE, ces trois oeuvres ont été réalisées en 1960 pour le restaurant le Sablonnet, situé au 2388 de la rue St-Dominique, à la demande du propriétaire. D'où les motifs tels fruits, légumes, assiettes, tables, aux contours nets et aux teintes contrastées. Après la fermeture du Sablonnet, l'édifice a abrité divers commerces, notamment une boutique d'artisanat et une pâtisserie. En 1995, un important incendie s'y est déclaré. La directrice du CNE, Jacqueline Caron, a alors demandé au propriétaire la permission de retirer les trois murales pour leur éviter la destruction.
Les oeuvres ont été remises à la collection du Musée du Saguenay (Pulperie), puis restaurées au Centre de conservation du Québec, où elles ont été démontées pièce par pièce puis recollées sur un support plus solide, explique Rémi Lavoie, ajoutant que ces murales restaurées sont maintenant en dépôt au CNE pour une durée indéterminée.

L'exposition «Le livre des naissances», préparée par le Musée d'Art du Mont St-Hilaire et la fondation Jordi Bonet, offre un contraste frappant avec les trois murales: il s'agit en effet d'un corpus très particulier issu d'une série de 300 dessins réalisés en techniques mixtes sur papier, entre 1976 et 1979. En période de rémission mais sachant que le terme de sa vie approchait, Jordi Bonet a voulu consigner dans ces oeuvres tous les éléments de sa vie: les faits, les croyances, les idées, les sentiments, le physique et le mental, l'abstrait et le spirituel.
Plusieurs malheurs ont jalonné la vie de Jordi Bonet. A l'âge de six ans, il a dû subir l'amputation d'un bras à la suite d'une chute, ce qui a bien entendu influencé sa façon de se percevoir dans l'espace, de se représenter, de représenter les autres. Il y a eu aussi, plus tard, la mort de l'un de ses trois fils, dans un accident. Puis, alors qu'il avait 41 ans, il apprend qu'il est atteint d'une leucémie qui devait l'emporter six ans plus tard.
Autant d'événements qui deviennent, dans «Le Livre des naissances», les éléments, parmi d'autres, d'une quête spirituelle. Tous les aspects concrets et abstraits de sa vie terrestre sont comme une matière qu'il façonne sans cesse en les déformant, recombinant, associant, colorant, séparant et multipliant, au long de ce qui apparaît comme une ascension vers l'infini.
La sensation d'intimité que l'on éprouve en observant les 39 dessins choisis pour cette exposition provient sans doute du sentiment d'urgence éprouvé par l'artiste qui se savait condamné, urgence de livrer ce testament esthétique et spirituel.
On aura peut-être le temps de noter la qualité du travail esthétique et formel au niveau du mouvement, de la composition et de la couleur, d'observer sa technique impeccable, avant d'être submergé par le contenu, le «message» qui se transmet avec une intensité peu commune. Le cercle est omniprésent, rappelant le soleil, symbole de la puissance de l'esprit, de la pérennité des idées et des croyances. Personnages, souvent debout et nus, paumes ouvertes,  parties du corps, anges, animaux, oiseaux, oeufs, globes terrestres, grilles, croix, motifs abstraits: autant d'éléments qui évoquent les fantasmes, les incertitudes, les espoirs et la souffrance de l'artiste, dans sa route vers la lumière.
Jordi Bonet nous guide, par la grâce de l'image, le long de son chemin initiatique et nous amènre au coeur d'un inconscient, à la fois personnel et collectif. Quelques textes affichés au mur, un catalogue d'exposition et un document vidéo permettent de compléter de façon pertinente la visite de l'exposition.