Dans la lumière de l'obscurité...
avril 2000
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Aujourd'hui, plusieurs créateurs en arts visuels proposent des expositions qui sont aussi des installations. En ce sens qu'ils ne se contentent pas d'accrocher leurs toiles ou photographies aux murs, mais présentent ces oeuvres dans un contexte précis créé par la lumière, par des objets, par des sons ou des textes.
En général, cette mise en situation des oeuvres a pour effet de les rendre plus accessibles au visiteur, car la sollicitation des sens est ainsi renforcée. Et c'est ce qui se passe avec l'exposition présentée à la galerie Séquence par la photographe Chantal Gervais jusqu'au 14 mai. Une exposition, mais deux oeuvres, ou ensembles d'oeuvres, occupant chacun une salle de la galerie.
Ici, l'environnement, le contexte est créé par la lumière: celle des toiles elles-mêmes et celle qui les entoure. La plus remarquable de ces atmosphères est celle de la salle où est présentée l'oeuvre «Le silence de l'être»: il y fait presque totalement noir. Non seulement la salle n'est pas éclairée, mais le contour du sujet, le fond de l'image et le cadre, tout cela est également noir. C'est donc la lumière même dégagée par les corps (ou parties de corps) photographiés qui fait impression sur l'oeil.
Ce «silence de l'être» du titre, c'est en quelque sorte celui de ces corps, photographiés en gros plan, de sorte que l'on n'en saisit jamais l'ensemble, mais plutôt une petite portion: bouche, mains, pieds, torse. Ils ne «parlent pas», ils sont simplement là, intemporels, figés. C'est ailleurs qu'il faut chercher un sens. Par exemple dans la peau, sur laquelle semble se concentrer toute la lumière disponible dans la salle. La peau, est-ce que c'est l'être? Par ailleurs, puisque ces éléments sont entièrement entourés de noir, ils semblent flotter dans l'espace, un peu à la manière des hologrammes. Et la ressemblance avec ces derniers est d'autant plus forte que la peau, dont on distingue le grain et la moindre nuance, apparaît comme translucide, lumineuse. Pour un peu, ces photos répondraient à la question: y a-t-il «quelqu'un» sous cette peau, derrière cette peau?
Particulièrement impressionnante, la photo où on aperçoit, de profil, une bouche: les lèvres d'un rouge intense sont lumineuses, à la fois étonnantes et étranges. Quant aux postures de ces corps, inspirées par les systèmes de représentation du Baroque et de la Renaissance, elles vont de la pose statique évoquant la rêverie ou le songe au geste démesuré résultant d'une torsion impossible.
Dans l'autre salle, la lumière est tamisée mais ce n'est pas le noir qui domine: plutôt des teintes de terre rouge ou d'ocre, qui colorent différemment cet ensemble intitulé «Dualité de la chair». Un des murs, est occupé par six photos: une grande, où est représenté un torse de femme, et cinq petites qui laissent voir, selon le cas, deux mains, une langue, un cou, des pieds, une bouche. Elles sont disposées au fond de cadres-boîtes aux larges contours. Sur chacun des trois autres murs, une photo grand format illustrant une plus grande partie du corps. Autant les photos de «Silence de l'être» tiennent le coeur à distance à cause de leur étrangeté qui déstabilise le visiteur, autant celles de «Dualité de la chair» se laissent approcher, donnent une impression de rencontre intime, à la fois troublante et émouvante.
Chantal Gervais, photographe originaire de Val d'Or qui vit et travaille maintenant à Ottawa, nous offre ici un travail d'un qualité technique remarquable. Elle reprend l'incessante interrogation qui porte sur les rapports entre l'art et le corps, en y apportant une touche très personnelle, une vision qui met en jeu la lumière et la peau, l'omniprésence et la fragilité.