Troublants orifices
octobre 1999
CHICOUTIMI(DP) - A la galerie Séquence, le photographe Har-Prakash Khalsa, natif de Toronto et qui vit maintenant à Owen Sound en Ontario, présente une proposition à la fois fascinante et troublante: en noir et blanc, des gros plans extrêmes sur les orifices du corps: narine, bouche, oreille, anus, vulve, mamelon, pénis. Ils sont vus de si près que l’on ne les reconnaît pas à coup sûr, d’autant plus que les photos sont orientées de façon fantaisiste. En revanche on distingue parfaitement, comme à travers une loupe ou un microscope, les moindres replis de la peau, les nuances de la carnation, l’implantation de chaque poil ou cheveu, les méandres de chaque ride.
Les photos, de taille relativement petite, sont regroupées par sept ou huit, chaque groupe est coiffé d’un titre minimal: «homme», «femme», «hommes-femmes», «hommes». Les titres au singulier laissent à penser que tous les orifices du groupe appartiennent à la même personne (dans d’autres montages, l’artiste mentionnait même le prénom de cette personne), les autres suggèrent plutôt un mélange, la construction d’un être à partir d’orifices appartenant à des personnes différentes.
Cette exposition, intitulée «The Hole Project», transforme, comme le voulait l’artiste, l’ordinaire en extraordinaire, par la glorification visuelle des ouvertures du corps, qui sont le siège et le lieu de nos relations avec le monde extérieur, de tous nos mouvements d’absorption et d’éjection. Toutes ces activités, ingestion de nourriture, réception d’images, d’odeurs, de sons, parole, éjaculation, allaitement, défécation, sont intimement liées à des valeurs culturelles différentes, selon les époques et les sociétés, et elles sont souvent gouvernées par un code social à la fois élaboré et rigide. Dans certaines religions ou traditions, ces orifices sont appelés les portes du corps. Plus largement, ces images des ouvertures du corps nous renvoient au fait que toute activité humaine est assimilable à un don ou à un rejet, à une projection dans le monde ou à une réception de stimuli extérieurs, que l'on peut accepter ou refuser en éprouvant les sentiments les plus divers.
En même temps le gros plan, s’il ne permet pas d’identifier les individus, met néanmoins en évidence l’infinie diversité des êtres, diversité qui vient du sexe, de la race, de l’âge ou encore du bagage génétique de chacun. Ces photos évoquent des paysages intimes et inouïs: les cheveux et les poils rappellent des arbres, les plis et les rides ressemblent à des chemins et à des routes aux innombrables méandres, et les ouvertures et orifices nous placent au bord d'autant d'abîmes vertigineux.