L'écriture visuelle pour approcher l'intime
juin 1999
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - L'artiste Jacques Clément propose jusqu'au 30 juin à Espace Virtuel une exposition intitulée «Journal intime, écriture visuelle». Les signes qui constituent cette écriture visuelle sont de petits rectangles de papier kraft portant chacun un dessin, en général fait à l'encre de chine.
Il s'agit bien d'une écriture car ces signes ou idéogrammes sont reliés les uns aux autres pour faire partie du même univers, comme un ensemble d'icônes. Le lien est visuel: les rectangles s'inscrivent dans un rectangle de papier plus grand, et les divisions horizontales entre les colonnes de dessins se font au moyen du pliage. Le pli sert donc de cadre, et il est plus ou moins accentué, ce qui permet de distinguer plus ou moins les dessins qui font partie de l'oeuvre. Dans l'une des oeuvres, les plis ont servi à plaquer les colonnes de dessins les unes sur les autres, et la bande ainsi obtenue a été repliée sur elle-même, puis l'ensemble réuni par une bande de papier. On n'aperçoit donc que les quelques dessins demeurés à l'extérieur du pliage, comme la couverture d'un livre, un livre fermé qu'on ne peut pas lire.
Dans l'oeuvre suivante, les plis sont un peu plus ouverts, mais pincés dans une de leur section, ce qui donne un éventail, aux dessins plus visibles mais difficiles à distinguer par endroits. Dans la troisième oeuvre, il y a une section de papier complètement ouverte.
Et enfin, la plus grande oeuvre occupe un mur entier ou presque: elle comprend 16 panneaux divisés en huit bandes, elles-mêmes divisées en huit rangées, donc 64 dessins pour chaque panneau, ce qui fait 1024 dessins en tout. Ce grand nombre a sans doute incité l'artiste à introduire d'autres sujets que le corps humain et d'autres techniques que le dessin à l'encre de chine. On peut donc promener son regard au gré des pages de ce livre ouvert, sans se préoccuper de l'ordre de lecture.
Les corps humains sont réalisés selon la technique de l'esquisse, du croquis d'après modèle: on y reconnaît des corps féminins, masculins, clairement dessinés, ou représentés en silhouette, en contour, ou en ombre opaque. Ils sont saisis au milieu d'un mouvement, d'un élan, comme dans un instantané photographique. Outre les corps, on trouve sur les rectangles de Jacques Clément des cercles, des formes géométriques, tout est en noir, blanc et brun clair, avec quelques touches de couleur orange ou jaune.
Après avoir «lu» le livre, on peut s'en éloigner pour saisir l'ensemble, ce qui permet de distinguer, comme sur une grande toile, des courants clairs et foncés qui esquissent de nouvelles formes. De plus, les plis qui séparent les colonnes de dessins produisent un effet de profondeur et de mouvement.
Ce travail de Jacques Clément s'inscrit dans une démarche amorcée en 1995: les dessins produits quotidiennement deviennent la matière d'un journal intime visuel. Il est d'autant plus intéressant que, malgré l'abondance et la régularité de la production, l'artiste semble avoir conservé intacte sa capacité de ressentir et de transmettre l'émotion, celle que créent invariablement les représentations du corps humain.
Jamais le système ne prend le pas sur l'inspiration, jamais l'artiste ne manifeste de la lassitude ni ne travaille de façon répétitive: il arrive, dans chaque dessin, à transcender les règles qu'il s'est lui-même imposées pour produire des images qui séduisent par leur pureté, leur dépouillement, leur qualité artistique.
C'est cela qui est fascinant dans cette exposition «Journal intime, écriture visuelle», que l'artiste montréalais Jacques Clément présente à Espace virtuel.