Des toiles et un concert aux couleurs de Beethoven
juin 1999
par Denise Pelletier
JONQUIERE(DP) - Tout a commencé au hasard d'une rencontre et de quelques mots, pour devenir un véritable projet artistique dans lequel la musique a servi d'inspiration à deux peintres pour créer une série de toiles. Celles-ci sont actuellement exposées au CNE de Jonquière, mais pour les voir il faut se dépêcher car l'exposition, intitulée «Quand la musique se fait couleur», qui a commencé jeudi, se termine demain. D'ailleurs, il y a un vernissage aujourd'hui à 17 heures, au cours duquel le quatuor Alcan donnera un bref concert.
Il s'agit en effet des toiles de Françoise Frère et d'André Fradet, deux artistes de Jonquière qui ont eu l'idée de peindre à partir de l'oeuvre de Beethoven. Et plus précisément ses quatuors, dont le quatuor Alcan a joué, au cours de l'année, l'intégrale en six concerts au Côté-Cour. André Fradet nous raconte avoir rencontré le violoncelliste David Ellis après le premier concert, et lui avoir exprimé l'idée qu'il aimerait créer quelque chose à partir des quatuors, et montrer les oeuvres pendant les concerts.
Il a contacté une artiste et amie, Françoise Frère, qui a tout comme lui, travaillé notamment en graphisme et en décors de théâtre, et ils se sont «réparti» les quatuors: «elle a choisi les premiers, moi plutôt les derniers écrits par Beethoven, nous avons d'abord travaillé ensemble dans un grand atelier, puis chacun chez soi». Ensuite, quelques jours avant le deuxième concert, ils ont rappelé David Ellis pour lui dire que les toiles étaient prêtes: un peu surpris, car il n'avait plus entendu parler du projet, celui-ci s'est montré enthousiaste, et encore plus après avoir vu les toiles.
Le projet a donc pris forme, les artistes écoutaient les quatuors prévus au prochain concert et créaient chacun une ou deux toiles en fonction de ces oeuvres. Celles-ci étaient placés sur la scène du Côté-Cour, derrière les musiciens qui, à chaque concert, faisaient une brève présentation du projet au public.
Mais les toiles n'avaient jamais été réunies, et c'est la directrice du CNE qui a proposé aux artistes de réaliser cette exposition non prévue au programme.
S'il y a des similitudes entre le travail des deux artistes, par exemple l'utilisation de l'acrylique et des grands formats, il est surtout intéressant d'observer leurs différences. André Fradet propose des oeuvres structurées, visuellement séduisantes, où la géométrie et les lignes de couleur créent des volumes bien définis, qui sont aussi travaillés en épaisseur, les couches de couleur superposées et texturées créant une impression de profondeur. Chaque toile porte en titre celui d'un quatuor, «Opus 133» ou «Opus 135», par exemple, avec dans certains cas l'indication d'un mouvement ou d'un deuxième titre comme «Quartetto serioso» ou «Cavatina».
La relation entre l'oeuvre musicale et l'oeuvre picturale n'est pas évidente, mais cela importe peu, puisque les toiles ne sont pas à proprement parler figuratives. C'est au visiteur de créer cette relation, s'il le souhaite. Il peut par exemple «reconnaître» l'énergie et la tension de l'opus 133, dit «la grande fugue», dans la toile correspondante, où deux rectangles d'un jaune lumineux se détachent d'un fond plus sombre dont les lignes de force vont toutes dans le même sens. Pour certaines oeuvres, André Fradet a réalisé un diptyque ou un triptyque.
Françoise Frère
Quant à Françoise Frère, elle travaille manifestement de façon spontanée, avec des gestes amples qui laissent sur la toile des tourbillons colorés, des maelströms de bleu et de blanc évoquant la mer et ses rivages, agités par une source d'énergie qui peut être associée à celle de la musique même.
Tourbillons marins donc, auxquels il faut ajouter des éléments de la nature facilement identifiables dans les oeuvres de Françoise Frère: la mer, la glace, la forêt, l'organique, même les rochers semblent vivre d'une vie propre. Et partout sur les toiles, des corps humains allongés s'incurvent selon les courbes des tourbillons dans lesquels ils semblent emportés sans retour, levant les bras, étendant les mains comme dans un pressant appel au secours. Dans l'opus 16, numéro 6, le premier plan est occupé par un tissu d'apparence végétale troué d'alvéoles dans lesquelles on aperçoit des oiseaux, qui semblent prisonniers, eux aussi.
C'est donc une très intéressante exposition, issue d'un projet fascinant, que «Quand la musique se fait couleur», présentée par les artistes Françoise Frère et André Fradet. On peut la voir aujourd'hui et demain entre 10 heures et 17 heures, et assister au vernissage concert, avec participation du quatuor Alcan, aujourd'hui de 17 heures à 19 heures.