En provenance de Barcelone
Mystérieuse et fascinante Fauna secreta
mai 1999
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - S’il n’y a ni jardin zoologique, ni parc animalier à Chicoutimi, il y aura cependant au cours de l'été, pour les flâneurs, les visiteurs et les touristes, des animaux à aller voir. Et des animaux tout à fait hors de l’ordinaire: c’est la «faune secrète» des artistes catalans Joan Fontcuberta et Pere Formiguera. La galerie Séquence a en effet réussi, en travaillant en collaboration avec d’autres centres d’exposition québécois, à attirer dans ses murs cette exposition qui se promène depuis dix ans à travers le monde. Chicoutimi constitue en fait la première étape d’une tournée de «Fauna secreta» à travers le Canada.
On se demande tout d’abord, en entrant dans la galerie, si Séquence n'a pas changé de vocation pour devenir un muséum d’histoire naturelle. On y voit en effet quelques spécimens empaillés, mais aussi des photos, photos au grain passé ou délavé qui ne permet pas de distinguer les détails, des documents d’archives, dont certains en mauvais état, abîmés par l’eau, le feu, ou le passage du temps, et des instruments de mesure, bref, des objets qui semblent provenir du laboratoire d’un naturaliste.
Les textes d’accompagnement, les étiquettes et même un document vidéo projeté dans une des salles semblent attester cette première impression: il est dit qu’il s’agit là des archives d’un certain professeur Ameisenhaufen, un zoologiste allemand du début du siècle qui a consacré sa vie à la recherche sur des animaux rares et étranges, qu’il est le seul d’ailleurs à avoir pu observer.
Un magnifique spécimen empaillé d’aigle royal, dont la tête et le corps ne proviennent manifestement pas du même oiseau, accueille le visiteur à l'entrée de la galerie. Plus loin, en photo ou naturalisés, on trouve un «microstrium», mollusque possédant un pied et un bras de type humain, un «myodorifera colubercauda», qui a une queue de reptile et un corps de rongeur, le «centaurus neandertalis», le plus sympathique et le plus intelligent, quasi humain. S'agirait-il du chaînon manquant?, s’interroge le professeur dans ses écrits.
Peu à peu, les indices qui s'accumulent font comprendre au visiteur qu’il s’agit en réalité d’une parodie d’exposition scientifique, et qu’aucun de ces animaux n’existe réellement. Ou alors il faudrait croire au dragon cracheur de feu et au Grand gardien du bien total, un cheval ailé!
En entrevue à nos bureaux, l’artiste Joan Fontcuberta nous expliquait le sens de son travail. Cette fiction écrite et graphique, non dénuée d’humour, porte en réalité sur ce qu’on appelle le discours d’autorité: celui de la science, de l’université, de l’église, ces grandes institutions qui ont pour objet de transmettre les connaissances.
Le faux discours scientifique de Joan Fontcuberta et Pere Formiguera est fait pour semer le doute quant à la valeur intrinsèque des informations transmises par les institutions qui détiennent le monopole du savoir.
«Comme la photo confère un aspect vivant à l'image, on la confond facilement avec le réel, on la prend pour une preuve irréfutable», souligne Joan Fontcuberta. Il démonte donc le mécanisme de cette confusion en montrant des photo -réelles- d'animaux inexistants.
C'est un taxidermiste qui a construit les animaux selon les instructions des artistes, en travaillant avec les animaux morts du zoo de Barcelone: par exemple un serpent à pattes d’oiseau ou un poisson en position debout.
Les artiste ont par ailleurs créé tous les documents, écrits, livres et autres «archives» montrées dans l’exposition: de sorte que l’éventuel visiteur apprend à douter de tout, et peut-être à vérifier les origines de toute affirmation, même si elle vient de la plus haute autorité.
Ce n’est pas le seul mythe créé par Fontuberta: il a aussi produit un herbier fantastique, et une autre fiction, celle d’un cosmonaute soviétique qui aurait disparu, et dont l’existence aurait été cachée par les Russes au reste du monde. Né en 1955 à Barcelone, élevé à l’époque du franquisme, Joan Fontcuberta dit avoir appris, dans son adolescence, l'art de lire entre les lignes: «à cause de la censure, il fallait comprendre rapidement et savoir déceler une information cachée derrière un discours officiel». Il a fait des études universitaires en sémiologie puis il a travaillé dans le domaine de la publicité. Il a donc appris à dire des choses sérieuses à travers des signes ludiques ou humoristiques, accessibles à un vaste public de tout âge.
L'exposition «Fauna Secreta» a déjà été montrée dans 50 musées du monde, accompagnée de documents traduits en plusieurs langues.
Selon les endroits, les réactions de la presse et du public sont différentes, et on met en lumière différents aspects de l'exposition: en France, c'est la parenté de ce travail avec celui du mouvement surréaliste qui a été mise en évidence. Les Allemands ont été frappés par l'aspect reconstruction de la mémoire, et les Américains ont surtout remarqué le volet écologique de l'installation.
Au Québec, Joan Fontcuberta, qui se qualifie de «fictionnaire», ne sait pas encore quel type de réactions il va susciter, mais partout où il passe, il prend des photos et ajoute des éléments au bestiaire fantastique en s’appuyant sur les légendes populaires. Ce fut le cas notamment au Saguenay, où il a animé un atelier de création à l’UQAC.