Des oeuvres façonnées par le temps
mai 1999
par Denise Pelletier
JONQUIERE(DP) - En deux séries d'oeuvres de céramique, l'artiste Gilbert Poissant expose, au CNE jusqu'au 6 juin, ses réflexions sur le temps. La céramique est depuis longtemps son médium préféré, parce que c'est un élément naturel, sensuel. Toutes ces couleurs, ces formes, ces oeuvres, ont en effet pour point de départ une motte de terre. Et il a acquis au fil des ans une grande maîtrise de cette technique, comme on peut le constater en visitant l'exposition.
«5 fois 2 temps», le titre de l'exposition, est aussi le titre de l'une des deux séries, qui comprend dix oeuvres, répartie en cinq couples. Toutes sont en noir et blanc, en gris et blanc plutôt, construites par mosaïques de petits carreaux ou tesselles. Chaque couple comprend une grande oeuvre ronde et une pièce rectangulaire. Elles sont posées sur des feuilles de béton pour assurer leur solidité et la possibilité de les placer à l'extérieur.
Rencontré sur les lieux de l'exposition, Gilbert Poissant explique qu'il a voulu y exprimer, de façon symbolique, cinq façons différentes de mesurer le temps. On peut reconnaître successivement, dessinés à la manière d'un pictogramme, un escalier, un arbre, un croissant de lune, les divisions d'une règle, et une goutte d'eau, évoquant le temps vertical, le temps cyclique, le temps subjectif. Cela fait référence à l'architecture, à l'eau, au cosmos, au monde végétal, qui mettent en oeuvre des notions telles la mesure, la linéarité, la transformation, le mouvement. Les oeuvres circulaires enferment ces objets dans une boucle, comme un cycle temporel, celui des aiguilles d'une montre, des saisons, des années, des phases de la lune, et les oeuvres rectangulaires proposent une vision linéaire du même objet, comme une flèche qui s'en va vers son but, explique l'artiste.
Les possibilités d'installation de cette oeuvre, qui a été présentée dans cinq salles d'exposition différentes, sont très nombreuses: les couples peuvent être divisés en deux séries, séparés, juxtaposés, ou superposés comme ils le sont à Jonquière. Chaque disposition correspond à un effet particulier et teinte la vision qu'en aura le visiteur.
Gilbert Poissant a utilisé la même thématique pour d'autres oeuvres, par exemple des murales en marbre intégrées à des édifices ou à des espaces publics. Dans une école primaire, entre autres, il a posé au sol une grande plaque ronde portant l'illustration de la goutte d'eau, et sur l'image même, il a dessiné un jeu de marelle.
Si «5 fois 2 temps» présente une vision du temps intellectuelle, rationnelle, sérieuse en somme, l'autre série laisse place au jeu, à l'émotion, à l'imagination. Intitulée «Études d'après Gianfredo Camesi», elle comprend 32 tableaux de faïence faits à la main et disposés dans des cadres d'aluminium. Il faut beaucoup d'expérience et de précision technique pour de garder ces tableaux à plat, et les empêcher de courber, souligne Gilbert Poissant. Les pièces découpées et jointoyées sont toutes issues de deux formes de base: le carré et le cercle. Outre les trois teintes dominantes, le bleu, le noir, le blanc cassé, d'innombrables couleurs apparaissent en transparence, en découpes, par le jeu des multiples interventions et de la superposition des couches. Tout cela est appliqué au moyen d'engobes, ou argile liquide que l'on peut travailler au pinceau avant d'appliquer la glaçure et de cuire les pièces.
Au départ l'artiste a créé 18 pièces, maintenant il y en a 32, et il aimerait en réaliser cinquante. Quant il les façonne, il se laisse aller au pur plaisir de la création. Il conçoit l'ensemble comme un jeu, une sorte de puzzle et pour cette raison, n'indique jamais aux responsables des salles comment il faut placer les pièces. Ceux qui montent l'exposition peuvent les disposer à leur guise. Certains alternent les courbes et les lignes, d'autres les regroupent, d'autres construisent des suites, bref tout est possible: «j'aime bien découvrir comment d'autres ont compris ou interprété mon travail. C'est véritablement un jeu, un jeu de découverte et d'association, pour eux, pour moi, et pour les visiteurs», dit-il.
Natif de Saint-Hyacinthe, Gilbert Poissant vit et travaille à Mont-Saint-Hilaire. Si la céramique demeure son matériau préféré, il en explore plusieurs autres: marbre, granit, métal. Depuis le début de sa carrière en 1982, il a exposé partout au Québec, de même qu'en Europe et en Australie. Il a créé nombre de murales et d'oeuvres publiques pour des écoles, bibliothèques, centres hospitaliers et notamment, en 1987, la murale de la station de métro Outremont.