La forêt et l'argile, un rituel de fusion
février 1999 (artiste décédée en 2001)
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Dans la forêt, il y a des arbres. Dans l’exposition que présente Suzanne Tremblay à Espace Virtuel, il y a une forêt. Intitulée «Plantation particulière», son installation, que l'on peut voir jusqu'au 17 décembre, issue de la forêt et inspirée par celle-ci, est le résultat d'une activité de création: une mise en situation d’éléments empruntés à la nature et enrichis par des interventions artistiques.
Et le geste créateur ne s’achève pas avec la tenue de l’exposition, puisque l’artiste prévoit un jour remettre dans la forêt ce qu’elle lui a emprunté, et qu'elle a ensuite modifié, afin de lui donner une nouvelle vie. Tout s’enchaîne comme en une spirale, figure géométrique que l’on retrouve d’ailleurs dans son installation. Au cours d’une rencontre qui se déroule sur les lieux mêmes de l’exposition, Suzanne Tremblay nous explique sa démarche. Elle part toujours d’éléments naturels qui sont proches d’elle, ainsi pour sa précédente exposition solo (au CNE en 1995) intitulée «Odeur de pulpe, saveur d’argile», elle s’était inspirée de l'intérieur de sa maison, et de son propre jardin. Cette fois, pour «Plantation particulière», elle s'est éloignée de la maison, mais assez peu, pour se rendre dans le bois qui borde son terrain du rang St-Martin.
Elle a d’abord mis au point une démarche précise qui constituait son rituel de cueillette. Chaque jour, elle sortait à 9 heures, accompagnée de son chien, avec en main une scie qui lui servait à prélever un bois. Elle sortait du sentier tout tracé afin de trouver ce qu’elle cherchait: c’était du bois, issu d’arbres condamnés, morts de sécheresse, ou encore arrachés par la foudre ou le vent.
Après neuf jours, elle choisissait, dans les éléments cueillis, celui qui lui semblait le plus intéressant. Il y a eu ainsi 19 fois 9 jours, soit 171 jours consacrés à la cueillette. Chaque jour également, elle se dirigeait vers le promontoire situé au bout du sentier, et y prenait une photo en couleurs, afin de fixer l’humeur et la couleur du temps.
Dans son atelier, Suzanne Tremblay travaillait sur le matériel recueilli. Les plus belles branches, heureuses élues, étaient datés, nettoyées, écorcées, et leur empreinte fixée sur une plaquette d’argile humide. Chacune d’elles était ensuite associée, littéralement greffée à une sculpture de céramique: pour réaliser celle-ci, l’artiste se laissait guider par la forme tordue, tourmentée de la branche. Elle a façonné ses sculptures, les a colorées aux engobes, entaillées et enfin polies avec une toute petite pierre, ce qui a demandé beaucoup de temps, de patience, d'efforts. «J’avais l’impression d’entrer dans l’oeuvre, de me battre avec les éléments, cela me donnait de l’énergie», dit l’artiste.
Ces 19 sculptures forment le coeur de l’installation proposée à Espace Virtuel. La majorité d’entre elles sont élancées à la verticale, les autres sont plutôt allongées par terre. Le tout évoque à la fois une forêt, une foule et un territoire sauvage. Les branches tordues et les formes tourmentées évoquent les luttes pour la survie, les naissances et les morts dont on ne sait rien et qui agitent le monde végétal et animal.
L'artiste a complété l'exposition par des photos des arbres prises avant la cueillette combinées à celles des écorces qu'elle laissait tomber dans des sillons de terre en spirale: elle sont posées au mur comme les pages d’un calendrier. Une autre série comprend les petites photos prises chaque jour aux abords du promontoire.
Par terre sont posés des morceaux de bois non utilisés pour les sculptures, les plaquettes de céramique gravées, et une construction de blocs d’argile entre lesquels elle a glissé de petites roches, ces deux derniers éléments étant vus comme une introduction, une entrée en matière à l’exposition.
Le temps qui passe, le retour des choses, la photographie, le mimétisme et le courant qui jaillit de l'objet naturel pour animer le geste créateur, tout cela est visible et lisible dans cette «Plantation particulière» de Suzanne Tremblay.
Elle a exposé cette oeuvre une première fois à la huitième Biennale de céramique de Trois-Rivières, où elle avait été invitée, sans avoir posé sa candidature. «A ce moment-là, dit-elle, je venais tout juste de terminer le travail, j'y étais encore plongée, alors je ressentais surtout du stress, d'autant plus que je n'avais pas pu placer tous les éléments dans la salle mise à ma disposition».
Elle tenait à présenter ce travail au Saguenay, car après tout c’est en terre saguenéenne qu’elle a trouvé ses matériaux. Et c'est seulement maintenant, avec cette version de l'installation, qu’elle apprécie son travail. «Je le vois d'un oeil différent, j’ai l’impression qu’il respire, et je me rappelle le plaisir que j'ai eu à travailler, avec de gros pinceaux, des engobes de couleur, à enlacer le bois et l’argile», dit-elle.