Lumière noire et tension de la présence-absence
janvier 1999
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Marc Dulude a construit des installations qui jouent avec les notions de présence et d’absence, de tension et de limite. Le terme «stretché» du titre «Présent stretché», aurait peut-être pu être remplacé par stressé, ainsi qu’on peut le constater après avoir franchi les rideaux installés devant la porte et les fenêtres de la galerie l’Oeuvre de l’autre afin de maintenir une partie de l’installation dans la pénombre.
Pénombre nécessaire à l’utilisation de cette «black light», lumière noire qui donne aux surfaces des teintes fluo, paradoxalement violentes et lumineuses. Lors de notre passage à la galerie, l’artiste nous a d’abord présenté le montage intitulé Gigolo. Une série de tuyaux, pompes, canaux et conduits en plastique dans lesquels une eau de couleur turquoise se met à circuler dès que quelqu’un passe devant un détecteur de mouvement installé au mur. L’eau part de deux bacs disposés par terre, puis s’élève progressivement dans le système pour ensuite descendre lentement une série de canaux disposés en paliers. Quand la circulation s’arrête, on entend des bruits d’eau, comme s’il y avait une fontaine ou un petit ruisseau quelque part. C'est un son apaisant, qui contraste avec le stress imposé à l’eau par le système qui balise son circuit.
Puis, par terre dans l’alcôve de la grande salle, un grande «matelas» occupe tout l’espace du plancher. Au mur du fond se trouve un écran triple, éclairé par la lumière noire qui le rend mauve. Quand un passant déclenche le système, le dessus du matelas s’agite: une petite voiture jouet, qu’on distingue mal à cause de l’opacité du tissu, se met à tourner en rond, s’arrêtant puis repartant en sens inverse, tout en émettant des grincements affreux. Le son produit certes chez le spectateur un stress, tandis que le tissu est littéralement «stretché», c’est-à-dire soulevé et étiré par la petite voiture.
Stress qui augmente encore du fait qu’un autre son, provenant de la salle voisine fermée par un rideau, évoque indubitablement celui d’un gros aspirateur qui se mettrait en marche de temps à autre. Quand on entre dans cette salle, le mur du fond est tout entier occupé par une toile en latex de couleur verte, soulevée selon une forme carrée en son centre. Quand le bruit d’aspirateur se déclenche, toute la toile se soulève vers le spectateur, comme poussée par un souffle puissant. L’odeur du latex se fait sentir, pénètre en quelque sorte à l’intérieur du visiteur curieux.
Sur les murs latéraux, de grandes pièces de tissu rayé blanc et noir recouvrent des éléments, ventilateur ou autre mécanisme qui se déclenchent et les soulèvent en des endroits précis et à intervalles réguliers. Comme pour la petite voiture de l’autre côté, on éprouve d’abord une sensation d’agression, placé au milieu de ces bruits qu’on ne comprend pas, de ces formes qui bougent apparemment au hasard.
Mais, comme nous le fait remarquer Marc Dulude, si on observe cela pendant un temps assez long, on finit par déceler une régularité dans tous ces mouvements, la fascination s’installe, les rayures qui bougent donnent des illusions d'optique. Certains y trouvent même finalement le calme et la sérénité.
Pour mener à bien sa recherche, Marc Dulude, étudiant de troisième année au baccalauréat interdisciplinaire en arts de l’UQAC, utilise des objets du quotidien, des couleurs vives, qui traduisent un regard à la fois faussement naïf et amusé sur la vie. Sur la vie même de son installation, qui ne s’anime, qui n’existe donc qu’au passage des éventuels spectateurs.
Marc Dulude a grandi à la Baie, où il habite encore aujourd’hui, même s'il est né à Cold Lake en Alberta, au hasard des voyages de ses parents pour le travail. Il prépare une autre exposition, à Espace Virtuel en février prochain.