Le verre: un prisme ouvert sur la vie
janvier 1999
par Denise Pelletier
LAC KÉNOGAMI(DP) - Quand on cherche un spécialiste dans un domaine rare et peu pratiqué, on est porté à penser qu’il faudra chercher à l'extérieur du Saguenay-Lac-Saint-Jean, dans les grands centres. Et pourtant, on a tort: toutes les disciplines, même les plus pointues, sont représentées ici, et souvent par des gens qui ont plusieurs années d’expérience, et surtout l'amour de leur métier.
Harold Bouchard, par exemple. Quand on dit ce nom, les gens pensent immédiatement vitrail. Mais il faudrait plutôt dire travail du verre en général: techniques de mise en plomb, Tiffany, verre gravé au jet de sable, moulé, sculpté, découpé, peint, collage à l'époxie, traitement à l'acide: il a appris toutes ces techniques au fil des années, motivé par la fascination que le matériau exerce sur lui. Dans son atelier, l'atelier À l'An verre, qu'il a récemment déménagé pour l'intégrer à la nouvelle maison qu’il a construite cet été à Lac Kénogami, il sort, des casiers où elles sont soigneusement rangées, des plaques de verre, dont il explique la provenance avec respect: le plus beau, c’est le verre antique, soufflé à la bouche pour s’étendre comme un cylindre, qui s’ouvre ensuite à la cuisson. Dans l'épaisseur, on distingue des bulles irrégulières qui témoignent de sa fabrication artisanale, et c'est aussi ce qui fait son prix. Il y a le verre antique plaqué, le verre cathédrale, fabriqué en série, mais très intéressant: Harold Bouchard l'a utilisé pour la restauration d’un vitrail de la Cathédrale de Chicoutimi, qui avait été cassé par une roche.
Ce qu’il aime dans le vitrail, c’est la combinaison entre la rigidité du verre et la souplesse du plomb, cette grisaille de plomb qui, passée au four, assure la liaison entre les pièces. Un vitrail bien fait va durer éternellement, ou presque selon lui: il va bouger si on le secoue, mais il ne cassera pas. Ces deux matériaux sont très souvent combinés au bois, dans un cadre, une porte, un meuble, ce qui donne richesse et chaleur à l’ensemble. Quand la pièce est réalisée avec les couleurs appropriées et un verre de qualité, la lumière traverse le vitrail et peut en projeter le motif sur un mur blanc comme s'il s'agissait d'une diapositive. On peut jouer d'ailleurs avec l’opacité ou la transparence, selon les besoins, les choix des clients, l'endroit où sera placé le vitrail.
Tout cela a commencé il y a plus d’une vingtaine d’années, quand Harold Bouchard a quitté la région pour aller voir le monde. Il a voyagé au Mexique, en Europe, et pour gagner sa vie, il a trouvé un emploi dans l’atelier du maître verrier Pierre Osterrath, à Montréal, où il a travaillé pendant trois ans. Grâce à ce maître d'origine belge, «un perfectionniste et connaissait le secret de toutes les techniques, j’ai appris, et de la meilleure façon possible, l’essentiel du métier de verrier», dit-il. Il a aussi appris à évaluer un travail avec précision et acquis des notions de gestion.
Comme apprenti, il participé à la réalisation de plusieurs vitraux, notamment de la cathédrale de Windsor, de London, de l’église française de Welland, en Ontario, de deux synagogues juives à Montréal et à la restauration de vieux vitraux en Nouvelle-Angleterre. Il a aussi pu travailler avec l'artiste Jean-Paul Mousseau pour la réalisation d'une monumentale sculpture en verre au Centre des congrès de Hull.
Une belle carrière aurait donc pu s'amorcer pour lui à Montréal, mais il a choisi de revenir dans sa région natale, il y a 23 ans, et il ne l'a jamais regretté, même s'il a dû travailler très fort. Tous les jours, il est dans son atelier, du matin au soir, afin de remplir les nombreuses commandes qu'il reçoit de tous horizons. Contrairement à bien d'autres qui se consacrent à un passe-temps quand ils ont terminé leur journée de travail, «moi, mon hobby, c'est mon travail», dit Harold Bouchard. Ce qui explique qu'il se retrouve souvent, le soir, en train d'assembler des pièces et de terminer certains travaux. Le vitrail, c'est comme un puzzle: toutes les pièces doivent s'emboîter à la perfection. «La ligne de plomb se présente toujours comme une solution aux ruptures du dessin, et c'est elle qui donne du mouvement au vitrail», souligne-t-il.
S'il se dit ouvert à toutes les tendances, après avoir été plus radicalement tenant de l'abstrait dans a jeunesse, Harold Bouchard reconnaît pourtant avoir un style qui lui est propre: un style végétal, qui privilégie les formes arrondies, les lignes fluides, les teintes douces et les nuances pastel.
C'est sans doute dans ce style très personnel qu'il réalisera, d'ici quelques années, des oeuvres destinées à occuper les baies vitrées, les portes et autres ouvertures de sa nouvelle maison.