L'humour pour faire réfléchir
janvier 1999
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Dans les deux premières salles de la galerie Séquence, Emmanuel Galland, artiste originaire de France qui travaille aujourd’hui à Montréal présente deux séries intitulées respectivement «Twins» et «Superman». Ce sont des photos très agrandies de personnages moulés, comme ces petites figurines en plastique avec lesquelles jouent les enfants. Le moulage est grossier et l'ampleur de l'agrandissement permet de distinguer encore mieux les imperfections, les endroits où le plastique aurait coulé, les différences entre ces personnages qui, fabriqués en série, devraient en principe être identiques. Ce qui donne aux Superman, dont on n’aperçoit que la tête et les épaules, vues de face et de profil selon les séries, un aspect quelque peu ridicule, mis en évidence par le regard ironique de l’artiste. Les photographies sont présentées par séries, collées sur de lourds panneaux, accrochés, posés par terre ou appuyés au mur, conservant les indications qui s’affichent sur les contours au développement.
Dans le processus, Superman perd son unicité, puisqu’on peut le fabriquer en série. Comme de plus il est imparfait, ce n’est plus l’être exceptionnel, le surhomme auquel croient les enfants. En même temps, le clonage plus ou moins raté (dans la mesure où les figurines ne sont pas identiques) de cette figure emblématique établit un processus d’individuation, chaque figurine se différenciant des autres par certains détails.
Les «jumeaux», pour leur part, viennent par deux comme leur nom l’indique, Sur chaque photo, deux figurines ressemblantes mais non identiques, représentant des hommes que l’on pourrait dire ordinaires, vêtus d’une chemise bleue et d’un pantalon noir, que l’on aperçoit de face ou de dos. C’est dans la vision de dos que les défauts de fabrication apparaissent le plus, avec ces cercles marquant les raccords du moule, lui-même imparfait donc. Ces jumeaux impersonnels, interchangeables, ces individus anonymes sont-ils, eux, des hommes?
En effet, il faut comprendre que cette proposition amusante, ce gag formel plutôt sympathique dissimule une question angoissée concernant l’individu et son rapport aux autres, l’identité et l’unicité de chacun mise en rapport avec son intégration au tissu social: la question de la liberté individuelle.