Jean-Pierre Gauthier

Grand ménage extrême
novembre 1998

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Faire le ménage est une activité qui semble très éloignée de la création artistique. C'est pourtant le thème qu'explore un artiste, Jean-Pierre Gauthier, dans l'installation qu'il présente à la galerie Le Lobe jusqu'au 25 novembre, intitulée «Le grand ménage».
Travaillant en résidence entre le 25 octobre et mercredi dernier, jour du vernissage, il a manipulé du savon, des contenants de plastique, des papiers, des boyaux de caoutchouc, bref les éléments qui servent, en général, à faire le ménage. Mais il leur a associé des capteurs, des senseurs, des compresseurs, des prises et réseaux électriques qui les animent au passage des gens.
Rencontré sur les lieux de l'exposition, il nous a présenté ses modules, que l'on pourrait sans doute aussi appeler des bidules ou des patentes. D'abord un chariot à roulettes sur lequel sont entassés des rouleaux de papier hygiénique, des débouchoirs, des bouteilles de liquide à vaisselle et de désinfectant, bref, la panoplie du parfait concierge.
Mais ce qui est le plus remarquable, c'est qu'il a fabriqué tous ces objets en savon: la matière a été moulée et colorée, en bleu, brun, rose, blanc cassé. Quand on passe devant le détecteur de mouvement relié à ce module, de petits vaporisateurs empruntés à des bouteilles de lave-vitres projettent de l'eau sur tous ces objets. Ce qui les fait, très lentement, fondre, changer de forme, modification qui est accentuée par l'exposition à l'air, qui, elle, les fait sécher et rétrécir. Des rouleaux de vrai papier, posés par terre, absorbent les gouttelettes qui sont projetées, se gonflant et se gondolant peu à peu à mesure que le temps passe.

Et c'est cela qui intéresse Jean-Pierre Gauthier, la notion de transformation, d'évolution, de modification. Il a pris des photos à diverses étapes de son travail, et il reviendra à la toute fin pour en prendre d'autres et constater l'évolution qu'auront subie ses objets. Il explore aussi les notions d'ordre, de désordre, d'accumulation, de récupération.
L'installation comprend d'autres modules: deux petits balais suspendus a plafond par des tuyaux de caoutchouc. Quand leur moteur démarre, ils se mettent en mouvement: l'un tourne en rond sur le plancher, l'autre saute et danse comme un pantin désarticulé. Puis un récipient empli d'un liquide vert, savon très concentré qui fait des bulles quand l'eau l'atteint, nettoyant un côté du contenant tandis que l'autre se couvre de savon solidifié. Et un bassin où s'agite un liquide mauve et visqueux, installé près d'un amas de véritables bouteilles de plastique.
Ces agitations organiques sont associées à des sons et des bruits de percussions qui imposent un véritable rythme, lancinant et sourd: pour peu que l'on se laisse aller, il inciterait à bouger au même rythme que ces boyaux qui s'animent comme des lianes.
Le jeune artiste montréalais nous raconte que sa première création a été une machine à faire de la boucane: «peu à peu, je lui ai ajouté des éléments, c'est devenu une sculpture». Et c'est au milieu de sa dernière année de maîtrise à l'UQAM que, secouant ses apprentissages scolaires, il a découvert sa propre voie, unique, personnelle. «J'ai toujours aimé le bricolage, l'électricité, la plomberie, la fabrication d'objets. J'ai découvert comment je pouvais retrouver ce plaisir et le combiner à la création artistique», dit-il. Et, pour quelques-unes de ses installations, il a exploité cet univers du ménage, qu'il connaît bien, ayant occupé plusieurs emplois de cuisinier et de plongeur.
Le contenu fait aussi référence, selon lui, «à notre obsession de la propreté, laquelle entraîne des actions qui parfois engendrent de la saleté», dit-il en évoquant un autre travail qu'il a réalisé précédemment: un chariot de concierge, avec eau, savon, produits variés, qui provoquait beaucoup de dégâts.
L'automne prochain, au Musée d'art contemporain de Montréal, Jean-Pierre Gauthier présentera une installation sonore pour laquelle il a travaille avec deux musiciens, lesquels joueront sur une batterie mécanisée et une méga table tournante de sa fabrication.