Philippe Boissonnet

Sculpter la lumière pour Repenser le monde
octobre 1998

par Denise Pelletier

JONQUIERE(DP) - L'artiste Philippe Boissonnet propose au CNE, jusqu'au 25 octobre, une exposition qui tient à la fois de l'installation, de la sculpture et de la photographie: dans ces oeuvres où la lumière joue un rôle essentiel, il s'agit de «Repenser le monde», comme l'indique le titre qui les coiffe.
Les visiteurs se rendront vite compte que cette exposition n'est pas sans rapport avec le montage éducatif et interactif «Dimension lumière», présenté dans la salle voisine, et qui porte sur l'hologramme. Philippe Boissonnet utilise beaucoup cette forme d'expression, mais il ne pense pas seulement technique: il a quelque chose à dire, sur le monde, et en particulier sur les relations entre l'homme et son univers.
Le monde est ici représenté par le globe terrestre, filmé, photographié sous divers angles, puis déformé et découpé. On reconnaît la forme des continents, le nom de certains pays, c'est donc bel et bien notre terre, mais elle prend des allures étranges, car elle baigne dans une lumière bleue ou rouge: dans certaines oeuvres il lui manque des morceaux, et dans d'autres elle est surmontée d'un visage humain.
Parmi les six oeuvres qui constituent l'installation, «La conscience des limites» est la plus impressionnante: elle comprend huit hologrammes insérés dans une immense structure d'acier qui a la forme d'un demi-globe terrestre. Un système d'éclairage à ultrasons affiche et éteint les images et modifie leurs couleurs au passage du visiteur. Figuration et abstraction, lumière et pénombre, visages et objets, les contrastes semblent flotter devant les yeux et l'esprit, comme pour nous faire douter de nos sens, de nos certitudes. Une provocation qui s'exerce néanmoins avec beaucoup de douceur, celle de la lumière glauque si caractéristique des hologrammes et des fluides qui diluent sans dissoudre.


Tout cela évoque «ce même globe terrestre en sursis, où nous bâtissons tous nos rêves et projetons l'épopée et les utopies de notre futur», ainsi que l'écrivait le sociologue et critique Hervé Fisher dans le catalogue d'une exposition présentée par Philippe Boissonnet à Montréal en 1993.
Une autre oeuvre, intitulée «Un océan d'incertitude», comprend deux contenants en forme de demi-sphères, posés sur deux plaques noires de plexiglas ou de bois: il faut se pencher au-dessus pour y apercevoir, en plus de notre propre reflet, les hologrammes qui y sont installés, en lieu et place du liquide transparent qu'on s'attendrait à y trouver.
De l'autre côté, une autre installation nous propose une image holographique qui passe du bleu au rouge selon que l'on s'en approche ou s'en éloigne: on peut y lire les mots «nulle part», et si on passe derrière, une plaque noire fixée au mur porte l'inscription «ailleurs». «Nulle part ailleurs», donc, que sur terre, qu'en nous-mêmes.
Jouant cette fois sur l'effet de miroir, une autre oeuvre, intitulée «Il serait une fois», comprend deux objets circulaires fixés à hauteur de vue sur des tiges métalliques, d'un côté une image, de l'autre, un miroir qui la reflète, et qui reflète aussi le visage de celui qui regarde.
Deux autres oeuvres enfin sont des images à plan unique regroupant des impressions au laser. «Raz-de-terre» comprend 96 de ces impressions en noir et blanc, posées par terre sur une base en bois, et «Reconstruction #1 et #4» comprend deux tableaux où on trouve des impressions en couleur, sur papier.
«Repenser le monde», de Philippe Boissonnet, est une exposition tout à fait fascinante, qui joue avec la lumière, l'espace, la couleur, pour nous faire réfléchir dans une atmosphère à la fois douce et troublante.