Peintre du paysage intérieur
septembre 1998
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Louis-Marie Lapointe possède l'expérience, la maîtrise technique et en plus il a des choses à dire en peinture. C'est ce qu'on peut constater en visitant son exposition, «Paysages d'intérieur», à la bibliothèque de Chicoutimi jusqu'au 9 octobre, et cela même s'il s'agit de sa première véritable exposition en solo. Il a longtemps hésité avant de montrer ses toiles au public, même si sa famille, ses amis, et les visiteurs qui par hasard jetaient un oeil sur ses créations lui marquaient leur approbation.
Cela, nous le savons parce que Louis-Marie Lapointe nous l'a raconté: c'est un confrère de travail, qui a déjà d'ailleurs été journaliste à notre section des arts. Il est maintenant pupitreur pour le Progrès-Dimanche et le Quotidien.
Comme l'indique son titre, ses paysages, tels qu'il les propose dans la vingtaine de toiles exposées, viennent de l'intérieur. On y trouve effectivement les éléments du paysage: l'eau, les montagnes, les arbres, le ciel, les nuages, la lune. Mais ils ne sont pas platement représentés: ils sont animés, tordus, torturés même par le pinceau jusqu'à devenir autre chose. Les arbres prennent forme humaine, par exemple dans «Conte du soir», les rochers ressemblent à des animaux pétrifiés («Souvenance»). La lune ou le soleil deviennent des planètes inconnues, entre autres dans «Passage». Quant à l'eau, elle est omniprésente, sous les formes les plus diverses: rivière, cascade, chute, lac, mer étale ou démontée, parfois séparée en deux ou trois surfaces différentes.
Ces paysages rêvés et inventés construisent un univers fantastique, onirique, surréaliste. Les éléments du paysage, qui se retrouvent n'importe où sur la toile, ne répondent pas à la logique du réel, mais à celle du surréel, de l'imaginaire personnel de l'artiste. Partout, des ouvertures, des passages, des «fenêtres» créent des liens inattendus entre des mondes fantasmatiques, nettement inspirés par la préhistoire. La connotation préhistorique est accentuée par les être étranges qui peuplent ces mondes, mammouths, rhinocéros, ou cet oiseau préhistorique qui tient du ptérodactyle et que l'on retrouve dans plusieurs toiles.
Mais ce qui est particulièrement significatif, ce sont les scènes que l'artiste inscrit dans ses toiles, et qui sont résumées dans les titres. Comme les tableaux de l'école surréaliste, ceux de Louis-Marie Lapointe proposent des idées, des histoires. Dans «Le visiteur», un personnage monté sur un mammouth entre dans un paysage hivernal, où deux enfants sont blottis frileusement à l'avant-plan, dans «Blessure», un oiseau de proie est transpercé par un pic rocheux, dans «Rencontre», le toucan à bec orange et la libellule se côtoient, chacun dans son monde. Dans «Le nouvel ordre mondial II», un personnage en robe mauve, dont la tête semble de pierre, lève les bras à la manière d'un prédicateur.
Toutes ces propositions illustrent le regard particulier que porte l'artiste sur son monde, elle viennent donc de l'intérieur. Périls, dangers, catastrophes pèsent sur ces paysages et sur les humains qui s'y trouvent, toujours très petits, perdus dans une immensité qu'ils ne contrôlent pas, loin de leur ville ou village qui parfois se retrouve tout entier blotti sur une branche d'arbre. Souvent pointe l'idée que l'homme, victime de ces catastrophes, en est aussi la cause principale.
Louis-Marie Lapointe s'est même permis d'être visionnaire quand il a peint, en 1993, «Conte d'un déluge», où voguent des navires étranges sur une eau qui envahit tout. Il n'a pas inventé le thème du déluge, bien sûr, mais il nous disait que, quand il a peint cette toile, il a imaginé que cette catastrophe passée pourrait se reproduire. Il a repris ce thème d'ailleurs après le déluge régional, dans une toile intitulée «Juillet», peut-être l'une des plus frappantes du point de vue de l'imagerie: une maison se retrouve en équilibre instable sur un pic rocheux, au haut de la toile, son antenne cassée, tandis que des personnages, minuscules taches de couleur au bas de la toile, tentent de s'accrocher aux arbres déracinés pour échapper aux eaux en furie.
On pourrait continuer longuement à décrire tous ces paysages, à raconter ces histoires. Disons seulement que cette tâche, fort agréable, reviendra à chaque visiteur de l'exposition. Et si les thèmes sont un peu lourds, les visions pessimistes, tout cela est allégé, adouci par la technique utilisée par l'artiste. Couleurs lumineuses, grandes surfaces délicatement nuancées en aplats, contours précis, perspective, équilibre des volumes, en plus de témoigner d'une grande maîtrise technique, introduisent des idées de paix, de calme, de tranquillité dans cette atmosphère d'inquiétante étrangeté.