Filets tendus pour rêves fragiles
août 1998
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Sonia Robertson propose à Espace Virtuel (jusqu'au 15 mars) un remarquable travail de création et d'intégration, une installation qui occupe tout l'espace d'une des deux salles. Son point de départ, sa source d'inspiration, c'est un objet de culture amérindienne que les autochtones appellent l'attrapeur de rêves.
Artiste montagnaise née à Mashteuiatsh, elle a tiré de sa propre culture cet objet tout imprégné de croyances ancestrales, de traditions et de poésie. C’est un tissu, une résille fixée à un cerceau, que l’on place dans la chambre, près du lit. Pendant le sommeil, les rêves du dormeur vont s’y heurter: les mauvais rêves y restent prisonniers, comme des insectes dans une toile d’araignée, et fondent au lever du jour, tandis que les beaux rêves passent dans les mailles et retournent au dormeur qui ainsi sera heureux à son réveil et pendant le reste de la journée.
Ainsi s’explique le titre énigmatique de l’exposition de Sonia Robertson: «Gardez les beaux»: les «beaux» en question, ce sont les rêves, les beaux rêves.
Prenant comme point de départ l’idée de l'attrapeur de rêves, l’artiste a tissé un filet qui s’étend partout dans la salle. Entre des anneaux fixés au plancher, au mur, au plafond, les fils se déploient et s’entrecroisent, dans divers sens et à plusieurs niveaux. Ils sont faits de babiche d’orignal, soit la peau dépouillée des poils et coupée en fines lanières, lesquelles sont nouées bout à bout, de sorte que, comme celle de l’araignée, cette toile est faite d’un seul tenant.
Çà et là aux points de jonction de cette résille qui est de couleur beige clair, sont posées des pièces de verre que l’artiste nomme poétiquement des perles de lumière. Ce sont des vases arrondis de verre soufflé (réalisés par Caroline Thériault): chacun contient une petite ampoule qui luit dans la pénombre, dont les parois sont tapissées de transferts photographiques en noir et blanc.
«C’est un travail sur la fragilité», explique Sonia Robertson, et en effet, le visiteur doit faire attention pour ne pas heurter, des pieds ou de la tête, les fils déployés un peu partout. Ce qui aurait pour effet de rompre la tension qui fait tenir tout l’ensemble. Et c’est en regardant bien, en tentant de percer l'obscurité ambiante pour voir ce qu’il y a devant et au-dessus de lui, qu’il prend conscience d’une présence: celle des objets, bien sûr, mais par delà ceux-ci, celle d’une idée, d’un rêve, d’une personne aussi qui communique avec lui par le biais de sa création.
Impression renforcée encore par la bande sonore, qui fait entendre, dit l’artiste, les bruits du corps. Elle a promené un micro sur son propre corps, enregistrant les battements de son coeur et de celui du bébé qu’elle porte (qui naîtra dans quelques mois), la circulation des fluides, elle a aussi enregistré des paroles, des cris, des incantations. Ces éléments très physiques agissent directement sur les sens, évoquant la vie, le monde animal, les émotions.
Le visiteur qui entre dans la salle où est présentée l’exposition (jusqu’au 15 mars) tel qu’il est, avec tout son bagage mental, en ressort transformé, plus léger. S’il se prête au jeu et se laisse aller dans cette pénombre afin de capter les ondes sonores et visuelles qui l’enveloppent, il laissera là ses mauvais rêves, obéissant ainsi sans même s’en rendre compte au doux commandement de l’artiste: «Gardez les beaux».
Native de Mashteuiatsh, Sonia Robertson vit et travaille à Chicoutimi depuis quatre ans. Elle a obtenu en 1996 un baccalauréat en cinéma et vidéo de l’UQAC (programme interdisciplinaire en arts). Ses créations font toujours largement appel à ses origines montagnaises, comme par exemple dans les expositions «Arbre sacré» et «Imiheuan», qu’elle a présentées à Séquence et à l’Oeuvre de l’autre en 1995.
Elle a participé à des expositions collectives, à des symposiums et autres événements spéciaux au Saguenay-Lac-Saint-Jean, à Montréal et en Europe.