Mario Bergeron

Le tourbillon ludique des icônes et des sens
août 1998

par Denise Pelletier

JONQUIERE(DP) - Le titre que donne Mario Bergeron à son exposition procure déjà des pistes pour appréhender son travail, avant même que l’on soit entré dans la salle. Pour quiconque possède un minimum de connaissances des ordinateurs et de l’informatique, «WYSIWYG» fait référence à l’expression anglaise: «what you see is what you get» (traduction littérale: «ce que vous voyez est ce que vous obtenez»), utilisée pour désigner l'interface intuitive qui fut caractéristique de l'univers Macintosh jusqu’à l’arrivée de Windows (3.1 et suivants) pour IBM et compatibles.
On comprend donc que le travail de l'artiste a des liens avec l'ordinateur, le multimédia, ou le graphisme. D'autant plus que Mario Bergeron a associé un numéro de version à son titre, qui devient donc «WYSIWYG 2.0»: il s’agit donc d’un travail en évolution, qui peut être modifié soit sur place, soit d'une salle d'exposition à l'autre.
Celui qui va voir cette exposition, présentée au CNE jusqu’au 20 septembre, tente d’abord, et en vain, de distinguer chaque élément mis sous ses yeux. Cadres et formes découpées servent de supports à d’innombrables images et icônes de diverses couleurs superposées, juxtaposées, combinées en variations dont le nombre apparaît sinon infini, du moins impossible à déterminer avec précision. Ces petits éléments sont soit figuratifs: pelles, haches, seaux, balles de fusil, têtes et corps humains, animaux, de toutes tailles et dans des arrangements divers, soit abstraits: séries de motifs décoratifs qui ornent certaines parties des cadres.
Au centre de la salle, une installation occupe tout l’espace du plancher au plafond, avec des éléments suspendus et d’autres posés par terre. Quatre cadres suspendus ne dessinent pas les limites de l’oeuvre, comme le font les cadres en général: ils y sont intégrés, s’ouvrant sur d’autres éléments placés au centre, comportant eux-mêmes des images que l’oeil affolé tente de reconnaître et de dénombrer.
Il y a aussi de très grands tableaux au mur. Sur l’un d’eux on retrouve la plupart des éléments présentés dans l’installation centrale et dans les autres tableaux, répétés selon des combinaisons et dans des tailles variées, sous la forme d’images découpées et aimantées posées sur un support métallique. Les visiteurs sont invités à déplacer ces formes à leur guise, et s’ils le veulent, à composer leur propre histoire.
Un autre tableau a pour thème central les images du martyre de saint Sébastien, qui mourut transpercé de flèches. Mario Bergeron propose d’innombrables variations sur ce thème, inscrivant par exemple un X au centre du coeur visible, et mélangeant à cette iconographie religieuse des parties de tableaux célèbres et des images de bandes dessinées. Aux quatre coins du cadre extérieur, une balle de fusil géante porte l’inscription: «ceci est un symbole phallique», allusion au fait que saint Sébastien est considéré comme le patron des homosexuels.
La seule description de tous les éléments que comporte l'exposition remplirait facilement trois ou quatre pages de ce journal. Précisons donc seulement qu'il s'agit d'images traitées par ordinateur, et collées ensuite sur des structures de bois. L'effet recherché - et obtenu - est celui d'une accumulation qui finit par égarer les sens... et le sens.
On reconnaît bien les images, on sait qu'il s'agit d'un oiseau, d'un nageur, d'un singe, mais pourquoi y a-t-il des pelles, des seaux et des singes dans les oiseaux, pourquoi y a-t-il des coeurs un peu partout, pourquoi y a-t-il un visage d'enfant représenté sur une feuille d'arbre?
L'artiste fait la démonstration que tout est possible dans le monde virtuel, mais que ce possible est essentiellement de nature ludique, très loin des contraintes de la vie réelle. Pour apprécier l'exposition, il faut libérer son esprit et l'engager dans un jeu, comme le sont les mots croisés ou la bataille navale. Mais un jeu où il n'y a pas de perdant, seulement des gagnants: le créateur et le visiteur.
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