Cassandre en voix et en images
juin 1998
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Ainsi donc, l'exposition de Freda Guttman à la galerie Séquence tiendra l'affiche jusqu'au 23 août. Intitulée «Cassandre: un opéra en quatre actes», c'est une installation en quatre parties à travers lesquelles l'artiste part à la recherche des éléments qui l'ont formée, comme femme et comme créatrice.
Ces éléments sont de deux ordres: personnel et historique. On peut les observer et les écouter en commençant par la salle du fond, où est projeté sur le mur un film en noir et blanc montrant simplement Freda Guttman, son frère et leur père. Les deux enfants, qui ont huit à dix ans, courent vers leur père, qui accueille d'abord la fillette en ouvrant les bras. Mais quand le garçon arrive, le père pousse, doucement et subtilement, la fille pour donner la première place au garçon, dans ses bras et aussi à l'écran.
Cette scène est reprise plusieurs fois, avec des modifications subtiles dans le rythme de la projection et dans la composition des images, qui ne laissent aucun doute sur la signification de l'événement: le père préfère le garçon. Ni sur les sentiments éprouvés, alors ou depuis, par la petite fille: tristesse, frustration, incompréhension. Cette scène aura pu s'avérer un élément structurant dans l'évolution de la fillette et l'inciter, comme adulte et artiste, à contester cet ordre familial séculaire.
Les trois autres volets de l'installation sont placés dans l'autre salle. Dans un coin, un ancien appareil radio diffuse deux bandes sonores: la chanson «The Little Box», dont les paroles sont de Bertolt Brecht, qui rend hommage à l'appareil radio, et un discours d'Adolf Hitler. Un petit écran vidéo inséré dans l'appareil montre une fillette offrant des fleurs à Hitler. Le dictateur, avec sa voix tonitruante, opprime et fait peur: c'est une autre forme d'autorité, plus arbitraire, plus effrayante et par conséquent plus contestable que celle du père.
Sur un des murs, ensuite, une série de cinq photos anciennes en noir et blanc, prises lors d'un dîner de famille à l'occasion du 13e anniversaire de l'artiste, illuminées tour à tour. Elles sont toutes identiques sauf pour un détail: la servante, qui se tient dans l'entrée, est présente sur certaines d'entre elles, et absente sur les autres. Seul le photographe, ou le spectateur, peut se rendre compte de ce détail. Les autres personnages, regardant tous l'objectif, demeurent dans l'ignorance de la présence ou de l'absence de cette femme, dont le rôle est pourtant essentiel au bon déroulement de la fête. Comme la petite fille du film, la servante est admise ou repoussée par l'arbitraire des rôles sociaux.
Dernier élément: des tables qui ressemblent à des instruments de percussion, auxquelles sont accrochés des écouteurs qui diffusent des paroles de femmes. L'artiste a invité plus d'une centaine de femmes à parler, raconter un événement ou décrire un moment important de leur vie, et pour l'installation à Chicoutimi, on a gardé les 25 textes dits par des femmes francophones. Les voix ont été traitées, le débit accéléré ou ralenti, le timbre modifié ou recouvert d'autres éléments sonores.
La démarche de l'artiste se complète ainsi par son association avec d'autres femmes, qui ont vécu des moments semblables ou différents, et qui, comme elle, sont à la recherche de leur identité: leur réunion leur apporte force et puissance. D'abord muette et impuissante devant l'autorité, Freda - Cassandre conquiert une voix, sa voix, et une force, en la combinant avec celle des autres femmes, après avoir compris ce qui est en jeu en observant son propre passé.
Freda Guttman est née à Montréal, où elle vit et travaille. Récipiendaire de nombreux prix et bourses, elle a à son actif plus de 20 ans de pratique et de recherches. Ses travaux ont été présentés partout en Amérique du Nord et aussi en Europe, et plusieurs de ses oeuvres font partie de collections publiques et privées.