Sage et ludique délinquance
mars 1998
par Denise Pelletier
JONQUIERE(DP) - Au CNE jusqu’au 12 avril, Robert Dufour propose ses «Incartades». Ce titre fait très clairement référence à la notion de délinquance, délinquance soit par rapport à l’art traditionnel, soit par rapport à ce qu’on attend de l’art moderne: en équilibre entre les deux, Robert Dufour joue avec des images familières sans s’engager dans la figuration.
D’abord ces oeuvres frappent par leurs vives couleurs, déclinées soit en nuances d’un même ton, soit en contrastes entre teintes primaires ou complémentaires. Ensuite on se rend compte que chacune d’elles est constituée de plusieurs morceaux aux formes géométriques simples: rectangles, triangles, trapèzes. Posées sur le mur les unes à côté des autres, ces pièces semblent destinées à s’emboîter à la manière des éléments d’un puzzle pour dessiner la forme finale du tableau: carrée, ronde ou autre, dont la ligne extérieure est dessinée en paliers correspondant aux arêtes de ses composantes. La forme de plusieurs de ces ensembles est enfin tributaire d’une symétrie construite à partir de l’axe vertical.
Les pièces qui constituent l’unité de base du travail de Robert Dufour sont d’épaisseurs variées, colorées au pinceau, ou par collage de papier peint, de tissu, intégration d’images photographiques. Leurs textures et leurs couleurs évoquent des motifs décoratifs, tels que l’on en trouve sur les papiers peints ou les ornementations de bâtiments: fleurs, animaux, petits objets, répétés en série et reliés par des lignes courbes, ton sur ton ou sur fond contrasté.
Le plaisir pris par l’artiste à confectionner, puis à associer ces «morceaux» est manifeste et le visiteur l’éprouve lui-même d’emblée. Cependant, si on s’approche des oeuvres pour en détailler le contenu, on se rend compte qu’elles suggèrent, en plus du jeu, d’autres éléments un peu plus «sérieux». Certains titres, comme «Vue partielle de mes grands-parents parmi quelques ferrailles» ou «Trois portraits (Ferron, Bresson, Rorschach)», revoient à des images figuratives, enfouies dans les parties les moins visibles du tableau, assombries et recouvertes d’autres éléments. Bref, c’est le titre qui guide le regard vers ces éléments et qui établit le contact entre l’oeuvre et le spectateur.
On notera une série de trois tableaux faisant référence à une femme appelée Pauline: «Recueillement de Pauline», «Dissociation simulée de Pauline», «Extase simulée de Pauline»: sur un des morceaux de la toile, un profil de femme dont l’expression correspond à la notion exprimée dans le titre: les éléments associés, couleurs, autres images, motifs géométriques, tissent une sorte de carte psychique, évoquant des sensations, des émotions, des idées, comme le ferait un discours tenu sur le divan d’un psychanalyste.
Les oeuvres qui intègrent des portraits et des visages constituent une première catégorie, orientée vers les problèmes intellectuels et psychiques, dans cette exposition de Robert Dufour. On peut y déceler une deuxième catégorie, représentée par les diptyques «Le ruisseau des coeurs» et «Cabane à moineaux». Ceux-ci font référence à l’univers de l’enfance, au moment où l’artiste a appris (avec son père, écrit-il dans sa présentation) à manipuler des outils et à fabriquer des objets. Les images qu’on y discerne sont en effet des outils, tels scie, marteau, leurre pour pêcher, les mains qui les manipulent, et les matériaux comme le bois et le fer.
Bref, l’exposition «Incartades» de Robert Dufour, est fort agréable à regarder et donne aussi à réfléchir. Sans avoir l’air d’y toucher, l’artiste pose en effet quelques questions sur la fonction de l’art, sur les codes de la représentation, sur la distinction qu’il faut -ou non- établir entre art décoratif et création, entre abstraction et figuration.
Né à Montréal, Robert Dufour est détenteur d'une maîtrise en arts visuels de l'UQAM. Il a exposé, en solo et en groupe, à Montréal et dans les environs, et «Incartades» est sa première exposition en région.