Kevin Kelly

Le paysage: mystères et fusion
février 1998

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - L’expérience du sublime: c’est ce qui a guidé Kevin Kelly dans la conception de l’exposition «Under the Threshold», qu’il présente à Séquence jusqu’au 20 mars.
L’artiste, qui vit maintenant à Hollywood en Floride, nous explique lors d’une rencontre que l’immense paysage que l’on aperçoit sur l’un des murs a été réalisé à partir d’une photo prise en Islande lors d’une tempête de neige. On  aperçoit donc, par bandes horizontales qui se succèdent du bas en haut de l’image, le bord de mer, tout blanc, la mer elle-même, d’un noir d’encre, la ligne d’horizon, de couleur turquoise, et le ciel plein de nuages gris.
Le travail a été effectué à partir d’une seule photo de taille standard, numérisée, agrandie, travaillée avec le logiciel Photoshop; l’image est finalement reproduite sur une grande surface faite de huit rectangles juxtaposés.
Le paysage, avec son mystère, sa beauté, son étrangeté parfois, peut provoquer chez celui qui le regarde une sensation de fusion: «c’est tellement beau qu’on a l’impression que l’on est en fusion avec ce qui nous entoure, et c’est ce que j’appelle l’expérience du sublime», dit Kevin Kelly. D’où l’immensité de la photographie qu’il propose, comme pour permettre au visiteur de passer, comme l’indique le titre, «sous le seuil» du paysage et de vivre à son tour cette fusion.

Tout près, il a disposé trois écrans de télévision de taille différente, qui diffusent tous la même bande vidéo, montrant un de ces geysers en éruption que l’on trouve en Islande, et quelques images d’un paysage sous-marin où évoluent des poissons. Travaillée elle aussi, la vidéo pousse un cran plus loin la notion de fusion, en ajoutant le mouvement à l’image: les pulsations du geyser provoquées par la chaleur qui monte, et les mouvements de l’océan, évoquent les rythmes vitaux du corps, battements du coeur, sommeil, respiration, souligne l’artiste.
Mais pour bien comprendre son travail, il faut aussi regarder le dernier élément de son installation, cinq photos travaillées à la manière de peintures, et qui montrent cette fois des paysages industriels urbains et des vues rapprochées de l’épiderme humain.
Dans un certain secteur du New Jersey, près d’une autoroute, on a un jour donné le feu vert aux grandes entreprises, leur disant «il n’y a pas de règles, vous pouvez construire tout ce que vous voulez, où vous voulez», raconte en substance Kevin Kelly qui vivait alors non loin de là. Bien entendu, les usines ont proliféré de façon anarchique, déversant résidus chimiques et émanations toxiques dans l’eau et dans l’air ambiant.
Dans ce cas, les humains ont aussi fait l’expérience de la fusion: fusion avec l’industrie, dont ils deviennent en quelque sorte des extensions. En effet, ils absorbent les émanations de ces usines, qui se transforment dans bien des cas, à l'intérieur de leur corps, en cancers ou autres maladies industrielles.
Kevin Kelly a intitulé cette partie de son travail «Inventer le sublime ou New Jersey Turnpike». Cette fusion avec le paysage urbain est-elle de même nature que la fusion avec le paysage naturel et peut-elle, également, induire l’expérience du sublime? Faut-il y voir deux versions d’une même expérience, ou encore deux expériences différentes et inconciliables? Voilà la question que pose l’artiste  dans cette installation.
Natif de l’Ouest canadien, Kevin Kelly a vécu dans plusieurs provinces, puis aux Pays-Bas, et à Montréal pendant 15 ans. Il enseigne actuellement à l’université de Miami en Floride, et il aime beaucoup exposer au Québec.