Déconstruire Les Chants de Maldoror
mars 1998
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - La série a toujours obsédé Hélène Roy, et constitue un élément structurant de chaque nouveau projet qu'elle entreprend. C'est encore le cas avec l'exposition qu'elle présente jusqu'au 17 avril à Espace virtuel: elle comprend au total quatre volets constitués de séries, tout en étant elle-même élément d'un vaste projet qui devrait se terminer vers l'an 2000 ou 2001.
Sur les lieux de l'exposition, en plein montage, cette artiste qui vit depuis plus de 20 ans au Saguenay et qui a participé à nombre de projets importants en art actuel, nous explique d'abord les tenants et aboutissants de cette exposition. Intitulée «Chants fragiles et sourds», elle est tout imprégnée, comme le furent d'autres travaux réalisés par Hélène Roy, de son livre fétiche: «Les chants de Maldoror» de Lautréamont, et aussi d'autres textes, entre autres d'Antonin Artaud et du poète Jean Chatard.
Elle se trouve actuellement au milieu d'un vaste projet qui consiste à réaliser des expositions ou installations correspondant aux six chapitres, aux six chants de Maldoror. Ce qu'elle présente à Espace Virtuel correspond au chant sixième et constitue le troisième volet du projet. L'exposition elle-même comprend trois ensembles. D'abord au mur du fond, une grande murale constituée par 90 dessins répartis en dix bandes horizontales superposées, dont deux sont placées au sol.
On remarque tout de suite, sur chaque image, une forme humaine se tenant à la verticale, dans une posture qui évoque un mouvement: marche, saut, ouverture des bras, et qui se détache en clair sur un fond plus sombre. Inspirée du recueil «L'homme debout», du poète français Jean Chatard, cette murale a pour titre complet l'extrait suivant d'un poème: «Entre la peau du jour et nulle part... on écoute battre un coeur à la hauteur d'un homme debout...». Ces formes, dessinées avec de la craie, des coups de crayons, de l'acrylique, des reports photographiques, «ce sont des personnages que je traîne avec moi depuis longtemps, tirés de tableaux connus, de magazines, de photos: un anarchiste, l'homme au parapluie de Magritte, un personnage de Giacometti, un nageur, des photos de mes parents», explique-t-elle.
Tous ces personnages deviennent finalement les éléments d'une écriture: «la murale est comme une immense page, les images sont des signes, des idéogrammes qui composent un texte visuel», dit-elle, précisant qu'elle ne cherche pas à illustrer le contenu d'un texte. Ce qui l'intéresse, c'est sa structure, son découpage en chapitres, l'aspect matériel du livre: c'est ce qui lui donne l'élan créateur, en lui offrant certaines balises pour structurer son travail.
Sur les murs latéraux, un autre élément de l'exposition est présent: des bandes horizontales placées assez bas, constituées de 20 fragments où il y a aussi des corps, mais étirés à l'horizontale, torturés, qui évoquent le cri, le malaise. Ils sont inspirées des carnets d'Antonin Artaud, et l'ensemble s'intitule «Et qu'as-tu fait de mon corps, Dieu?» L'artiste travaille sur du papier herculen, celui dont se servent les ingénieurs pour faire leurs plans et dont la surface est brillante et lisse. Elle utilise des portes pour construire les supports sur lesquelles le dessins sont collés.
Le troisième volet de l'exposition se trouve dans une salle voisine, l'ancien couloir-expo. C'est le chapitre septième, celui qu'ajoute Hélène Roy aux six chapitres écrits par Lautréamont, et qu'elle appelle la déconstruction des Chants de Maldoror. L'édition du Livre de poche compte 448 pages, et chacune sera intégrée à une oeuvre de petit format, sous cadre de bois, renfermant collages, interventions de couleurs, découpages. C'est comme un commentaire ou un cadre, qui s'édifie en parallèle avec le projet, qui évolue en même temps que lui, et pour l'instant Hélène Roy a réalisé 200 de ces oeuvres, dont 160 sont exposées.
«C'est mon chronomètre, mon marqueur de temps: quand il sera terminé, c'est que le livre sera entièrement déconstruit. C'est un grand défi, car ainsi, je serai en quelque sorte obligée de mettre un terme à la série, je provoque ma propre inquiétude, sur la fin de ce projet: je ne sais pas ce qu'il y aura ensuite», dit-elle.
Ces fragments constituent autant d'exercices de composition: pour les réaliser, l'artiste a utilisé pièces trouvées dans son atelier. La quantité d'oeuvres, placées côte à côte dans des rails de métal disposés le long de murs entièrement blancs, constitue un défi à la création: le visiteur ne pourra pas en retenir tout le contenu. «Il faut travailler chacune comme si elle était unique, et en même temps savoir qu'elle passera peut-être inaperçue. En revanche, le nombre et la proximité des oeuvres donnent toute son efficacité au propos», explique Hélène Roy.
Coffret
Un autre élément, et non le moindre vient compléter l'installation: le livre d'artiste, en l'occurrence un coffret de métal et de bois, fermé par des serre-joints, réalisé à 45 exemplaires, tous différents. Chaque coffret contient des textes signés par Jean-Paul Vincent, Guy Sioui-Durand, Lise Gauthier et Hélène Roy elle-même, plus une photo polaroïd d'une oeuvre encastrée au fond de la boîte, de même qu'une oeuvre originale d'Hélène Roy, un dessin unique dans l'esprit de ceux qui constituent l'exposition. Ces coffrets, disposés par terre, sont offerts au public, à 150$ chacun: les gens ne peuvent pas en voir le contenu, ils doivent choisir en fonction de l'apparence extérieure, celle du couvercle métallique gravé en lettres d'or, sur lequel divers motifs sont présents.
Contrairement à ce que pensent les gens, la structure sérielle n'est pas une solution de facilité. Cela ne doit jamais devenir mécanique, il faut maintenir le souffle créateur, trouver en soi les ressources pour apporter du neuf à chaque élément. De plus, la série soulève des questions essentielles et troublantes sur la vie, le corps, le temps, la mort, dit Hélène Roy.