Quand les matériaux réfléchissent
février 1998
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Martin Dufrasne a conçu une installation complexe, dont les composantes nombreuses suggèrent de multiples idées, tout en s’intégrant à une conception d’ensemble. Intitulée «-360 degrés d’attractions, éclats de foire» et présentée à Séquence jusqu’au 20 mars, l’exposition développe ses thèmes autour de la notion de parc d’attraction.
Ainsi qu’il nous l’explique au cours d’un entretien, Martin Dufrasne a choisi des matériaux réfléchissants: vinyle, miroir, acier dont l’éclat renvoie au visiteur sa propre image, déformée par les plis, replis et découpages des surfaces. «Ces matériaux n’absorbent rien, contrairement au feutre et au papier que j’avais utilisés pour ma précédente installation («Manège étroit» à Espace virtuel en 1997): ce sont des surfaces que l’on ne peut pénétrer, l’image demeure épidermique en quelque sorte», dit-il.
Parmi les objets disposés dans la salle, on peut mentionner un très grand miroir pivotant percé de huit trous circulaires, un personnage en vinyle évoquant le «punching bag», une balançoire double, elle aussi en vinyle, un tourniquet en acier. Des billes d’acier posées par terre. Le visage de l’artiste, imprimé par transfert photographique à l’acide sur quatre grandes plaques métalliques. Et trois petits écrans vidéo insérés dans une tablette, qui diffusent des images de phénomènes de foire.
Les amusements du cirque mettent en jeu diverses notions, explique Martin Dufrasne. Par exemple, la balançoire à double battant évoque la compétition. Mais une compétition injuste en quelque sorte, puisque le résultat est connu d’avance: c’est le plus lourd des deux qui va abaisser son banc vers le sol. Pour celui qui se retrouve en haut, c’est le vertige, l’inquiétude aussi. De même pour les objets posés par terre, structures molles aux traits humains qui semblent destinées à être lancées dans les trous du miroir, comme on le fait pour un jeu de poches. Seulement en les regardant, on devine que ceux qui sont blancs et opaques, plus lourds, pourront être lancés avec succès dans les ouvertures, alors que ceux qui sont transparents, impossibles à contrôler, ne pourront sans doute pas se rendre jusqu’au but.
Cependant, tels que construits par Martin Dufrasne, ces objets sont en quelque sorte inutilisables: la balançoire est dégonflée, il n’y a rien derrière le miroir, les tourniquets ne mènent nulle part précisément.
L’univers du parc d’attraction est pour lui à la fois attirant et repoussant. C’est le lieu où on cherche à garder l’équilibre malgré les rotations imposées aux corps par ces machines qui donnent le vertige, c’est aussi un lieu qui parle le langage des jouets d’enfants, un lieu surchargé d’objets dont le sens nous échappe, comme la vie elle-même.
Dans tous ses objets fabriqués, l’artiste semble indiquer que le hasard a peu à voir avec les résultats des jeux, des compétitions qu’ils évoquent. Dans ce paysage aseptisé et froid où le corps ne peut prendre place, ricochant d’une surface réfléchissante à l’autre, les «éclats de foire» induisent le vertige et l’inconfort. «J’aurais pu intituler l’exposition «Pourquoi je n’aime pas les parcs d’attraction», avoue Martin Dufrasne.
Celui-ci vit et travaille à Chicoutimi. Il est membre du collectif l’Oreille Coupée et du groupe des 12 artistes qui ont acheté une ancienne école du secteur Rivière-du-Moulin pour y aménager des ateliers. Il a participé aux événements artistiques Cuesta en Ontario et Symposium art-nature au Bic.