Le métal qui bat et qui vit
novembre 1997
par Denise Pelletier
JONQUIERE(DP) - Par un long travail de découpage, de polissage et de mise en place, Youri Blanchet donne au métal de récupération une luminosité exceptionnelle. C’est ce que l’on peut constater en regardant les sculptures de son exposition, «Inventaire réflexif sur le mythe, le corps et l’esprit», présentée au CNE jusqu’au 4 janvier 1998.
La beauté formelle de ces sculptures, qui provient de leurs formes arrondies et du chatoiement des diverses teintes du métal amplifié par l’éclairage, nous atteint tout d’abord. Puis on les détaille: les sculptures sont construites avec des engrenages, roues dentées, bouts de tuyaux et de chaînes, en acier, fonte, cuivre ou aluminium. Ils semblent provenir de moteurs, de machines, d’appareils divers. L’artiste les a réorganisés de magistrale façon pour traiter les thèmes de cette exposition: notamment l’humain, la guerre, la mort.
Un certain nombre de pièces sont accrochées au mur, les autres sont posées par terre ou sur un socle. La plupart sont entièrement faites de métal, comme ce «Pubis» qui comprend des chaînes, des roues dentées et des tuyaux, ou encore cette extraordinaire «Walkyrie», édifiée sur une tige métallique verticale sur laquelle sont posées de petites pièces horizontales, véritable colonne vertébrale associée à des tiges pointues et à une pièce triangulaire qui évoque un visage. On peut signaler aussi, dans les pièces entièrement de métal, une oeuvre intitulée «Sorcellerie», comprenant, sur un socle, une boule aux doux reflets de bronze entourée de tiges recourbées pointant vers le ciel. Il ne s’agit pas de figuration proprement dite, mais en faisant une recherche pour associer chaque titre, inscrit sur une petite carte posée au mur, à la pièce correspondante, qui en est assez éloignée, le visiteur effectue déjà une partie de la démarche qui consiste à établir la correspondance entre l’oeuvre et l’idée principale qui s’en dégage.
L’artiste agit ici en pédagogue éclairé, et ce n’est pas étonnant puisqu’il enseigne les arts au Cégep de Rivière-du-Loup, sa ville natale. Si son nom est connu au Saguenay, c’est qu’il a complété un baccalauréat interdisciplinaire en arts et un certificat en enseignement secondaire et collégial à l’UQAC, et que pendant cette période, il a été assez actif dans le milieu culturel, par sa participation à plusieurs événements et manifestations artistiques.
La pièce tout métal la plus impressionnante est certes celle qui s’intitule «Sarcophage»: un demi-tuyau, posé par terre, est garni de divers éléments métalliques évoquant des poignées et viseurs d’une arme, d’un canon très précisément. En un endroit de la surface incroyablement lisse et brillante, une ouverture rectangulaire aux bords déchiquetés laisse apercevoir une grenade.
D’autres pièces intègrent des éléments non métalliques, et poussent plus loin les références organiques que l’artiste associe, de gré ou de force, à sa manière de traiter le métal. Ainsi, si on regarde dans la coupole placée sur le dessus de la pièce intitulée «Le silence est d’or», on aperçoit une mâchoire grand format, comme celles dont on se sert chez les dentistes pour faire des démonstrations sur la manière de se brosser les dents, qui se referme sur une tige métallique dorée. Si le titre trouve là son explication, il faut tout de même regarder tout autour de la pièce, pour apprécier le travail d’optique effectué par l’artiste à l’intérieur de sa sculpture: l’illusion de profondeur, et donc de mystère, est parfaite. Une autre oeuvre, intitulée «La pierre philosophale», est faite d’une pièce de métal cylindrique coiffée d’une coupole qui laisse apparaître un petit bloc de minerai entouré de balles de plomb et posé sur une plaque de verre fendillé.
Enfin, une oeuvre semble se distinguer des autres par sa conception et son contenu: intitulée «L’amour, la vie, le fruit», elle comprend trois petites bouteilles enserrées dans un support métallique et remplies d’un liquide transparent. Dans l’une il y a du sable, dans l’autre quelques foetus (animaux probablement) et dans l’autre, un oiseau. Ici, le métal s’efface presque pour laisser place à l’organique, déjà mort mais évoquant la vie.
Car c’est la vie qui se dégage finalement de cette exposition, laquelle se présente comme un site mystérieux et improbable témoignant d’activités humaines pourtant «banales»: vie, mort, sexe, naissance, guerre, violence. Récupérées, sauvées, sublimées par un artiste en pleine possession de ses moyens. Tel un magicien, Youri Blanchet associe et combine des éléments contradictoires, la vie et le métal, et tel un véritable créateur, il propose des oeuvres dont la beauté a un sens.