Caroline Tremblay

Méditation poétique autour du Tutoiement
octobre 1997

par Denise Pelletier

CHICOUTIMI(DP) - Deux jeunes artistes exposent à Espace Virtuel, deux artistes qui ne se connaissent pas et dont le travail, bien que très différent, témoigne de la même tendance à exploiter une idée, un thème unique en plusieurs oeuvres.
La manière de Caroline Tremblay, une artiste photographe de Chicoutimi, s'apparente à la méditation. Sous le titre «Tutoiement», elle propose six grandes photos en noir et blanc, encadrées (cinq d'entre elles sont posées de biais par rapport au cadre) et portant, au bas, un texte extrait d'un poème de Paul Auster.
C'est ce poème tout entier, intitulé «Viatique», et affiché en versions anglaise (Paul Auster est un poète, auteur dramatique et romancier américain très en vogue actuellement. auteur notamment de «Moon Palace» et de «La Trilogie New-Yorkaise») et française, qui sert donc de guide au visiteur qui osera franchir les portes de la galerie, malgré l'absence d'affiches, de documents écrits, de renseignements sur les artistes qui y exposent.
Chaque photo montre un personnage, une personne plutôt, placée dans un contexte. Un homme sur la première et la dernière photo, une femme sur les autres. Sur la première, l'homme se tient devant un cours d'eau bordé par une haute falaise de roches et d'arbres: il est placé de dos, de sorte qu'on voit ce que voit son regard, en parallèle avec le début du poème: «Tu ne condamneras pas les pierres».

La photo suivante montre une femme, également de dos, dans un sentier forestier. Ailleurs une femme vue de profil se tient dans un paysage rocheux et désertique et, sur une autre photo, il y a une autre femme,  dans une forêt, et qui bouge, laissant l'empreinte de son mouvement sur le cliché.
Ces photos, associées aux textes, proposent une méditation poétique sur la pierre, le regard, la mort. Mais ces idées pourraient demeurer vagues, perdues dans une sorte de flou artistique, s'il n'y avait pas les deux autres photos.
L'une, prise à l'intérieur d'une maison, montre une femme à l'abondante chevelure bouclée: assise sur une chaise berçante, elle renverse la tête vers l'arrière, avec une expression particulière sur le visage: même si on ne voit pas ses traits, on comprend qu'elle pleure, qu'elle crie, ou encore, et c'est le plus probable, qu'elle est en train de rire. Le décor est d'un prosaïsme qui tranche sur la qualité naturelle des paysages et des forêts des autres photos: une ampoule au plafond, et, derrière la femme, un mur auquel sont suspendus quelques vêtements, sur lequel il y a un interrupteur et des thermostats. Là la narration se fait plus précise, on pense à un piège, à une séquence de film, surtout avec les mots: «sur les murs qui t'enferment», où il est question d'une autre voix, celle qui rit ou celle qui pleure.
Mais il faut se rendre jusqu'à la dernière photo, qui apporte une note d'ironie, de légèreté, de moquerie à l'ensemble qui jusque-là pouvait sembler dramatique, inquiétant. Dans la cour arrière d'une propriété que l'on devine fort belle, on aperçoit un homme qui se penche pour mettre le haut de son corps en parallèle avec un agneau en train de cuire sur la broche. L'homme grimace un sourire moqueur, comme s'il avait posé pour la caméra. Et le texte se termine ainsi: «et plus vive terreur/ de vivre dans ta mort, et de dire la pierre/ que tu deviendras». Le méchoui, animal mort, et l'homme, mort en sursis qui deviendra semblable aux braises dont il se moque: très finement, l'artiste désamorce le drame, proposant une finale en éclat de rire qui fait écho au rire supposé de la jeune fille dans l'autre photo. Cette «chute» qui vient en quelque sorte résoudre le parcours du visiteur sur une note grinçante et discordante, n'a cependant pas pour effet de réduire à néant la valeur poétique et esthétique des photos précédentes.
Une belle exposition, donc, que ce «Tutoiement» présenté jusqu'au 16 mai par Caroline Tremblay. Celle-ci a obtenu un baccalauréat en arts visuels, spécialisation photo, en 1991, et elle travaille à Chicoutimi sur différents projets reliés aux arts visuels depuis quelques années. Elle a présenté sa première exposition solo en 1996 à la galerie Séquence.