Le Troupeau : Jubilation de l'abondance
mai 1997
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Produire 150 images, est-ce assez pour épuiser un sujet? Certainement pas, mais cela permet de travailler longtemps, et de renouveler sans cesse le plaisir qu'on y éprouve, sans parler du plaisir procuré à un éventuel spectateur, pour peu que l'on ait du talent bien sûr.
C'est la réponse que donne en tout cas l'artiste de Québec François Chevalier, avec son exposition «Le troupeau» à Espace Virtuel. Plutôt que la méditation, il joue plutôt sur la multiplication des façons, des techniques, des supports pour explorer, en 150 dessins, peintures, collages et autres, les différents aspects de la bête.
Cette bête elle-même est multiple, insaisissable: elle ressemble à un chien, un chat, un boeuf, un mouton, un singe, un cheval (n'oublions pas le nom de l'artiste: Chevalier). Toujours vue de profil, elle est immobile ou en mouvement, détaillée ou ébauchée, squelettique ou bien grasse, parfois ses traits évoquent ceux d'un être humain. Trois murs sont remplis de dessins et celui du fond est divisé en deux parties par une frontière virtuelle vers laquelle regarde la bête, présentant donc son profil gauche ou droit selon qu'elle est située dans la première ou la deuxième partie de la salle.
Ici, c'est l'abondance qui frappe tout d'abord le visiteur. Les médiums et techniques: gouache, crayon, pinceaux, fusain, estampe, gravure, lacérations et collage, produisent chacun un effet différent, associé aux couleurs qui se tiennent dans les registres du noir au gris et du rouge au brun. Le support est toujours une feuille au format régulier, papier blanc la plupart du temps, mais parfois carton de teinte foncée. Certains dessins évoquent très nettement les images rupestres trouvées dans les habitats préhistoriques, d'autres s'apparentent à des images oniriques, quelques-uns ont la naïveté et la fraîcheur des dessins d'enfants, d'autres encore font écho aux divers courants de l'art actuel. Pour certains l'artiste a joué sur la fusion des teintes et des formes, pour d'autres il a exploité les contrastes.
Le tout donne l'impression d'une exubérance, d'une jubilation créatrice qui s'est directement imprimée sur le papier et qui est immédiatement ressentie par celui qui regarde l'oeuvre. C'est une mosaïque qui envahit tout l'espace visuel, nous laissant aux prises avec cette question sur la frontière entre l'homme et la bête. Car il ne faut pas s'y tromper: cette bête multiforme est une émanation de l'esprit, l'expression du doute jamais résolu de l'homme quant à sa vraie nature.
Mais le plus extraordinaire est que chaque élément de cet ensemble, pris isolément, est une véritable oeuvre d'art, dans laquelle éclate le talent de l'artiste. François Chevalier commence déjà d'ailleurs à être connu dans le milieu des arts visuels québécois. Il a présenté en 1995 à la galerie Engramme une exposition intitulée «Sans tête», selon le même principe: cette fois, il s'agissait de 148 oeuvres proposant autant de têtes humaines.