Colin Chabot

Notre monde tel qu'il est
avril 1997

par Denise Pelletier

JONQUIERE(DP) - Le banal, le prosaïque, le laid, le saugrenu, le bizarre, ce que l'on tente de cacher quand on fait des peintures ou des photos, Colin Chabot s'y intéresse. Les coins perdus, les fermes, les vieux garages, les marchés aux puces, les bric-à-brac, les brocantes, les cheminées d'usine: cet autodidacte dont la technique s'approche de celle de l'hyperréalisme les combine à des ciels colorés et envahissants. Il présente au Centre national d'exposition de Jonquière 25 toiles produites au cours des sept dernières années, soit depuis sa dernière exposition dans cette même salle.
Il a intitulé son exposition «Classique» pour se démarquer du courant hyperréaliste des années 60, estimant que par certains aspects son travail se rapproche de celui des peintres figuratifs traditionnels, qui voulaient laisser, pour les générations futures, un portrait du monde dans lequel ils vivaient.
Les sujets de ses toiles sont donc choisis au fil de voyages que Colin Chabot effectue dans les régions du Québec, et à Montréal même, où il habite maintenant. Natif de la région de Montmagny et ayant grandi près de Drummondville, il a élaboré au fil des ans une technique particulière, axée sur la précision du détail et l'accumulation d'objets sur une même toile.
En entrevue au CNE, pendant le montage de l'expositon, il nous montre d'abord deux toiles dont les sujets se situent au Lac-Saint-Jean: un rang de Saint-Henri-de-Taillon, tronçon de route bordé de deux maisons, et le célèbre restaurant Marchand, situé au bord de la route à Saint-Bruno. Plus loin, il a croqué la cour d'un brocanteur, avec ses mille bébelles, plus loin encore la façade d'une boutique de souvenirs de Montréal où les vitrines laissent apparaître ces centaines d'objets, tous plus «kétaines» les uns que les autres, que l'on vend aux touristes.

Sur une autre toile, on ne voit que des affiches et enseignes lumineuses où se retrouvent tous ces noms si connus au Québec: Canadian Tire, McDonald, Greenberg, Sports Experts et autres. Colin Chabot aime bien travailler par séries. Par exemple deux toiles dont l'une montre les clochers d'un quartier de Montréal, l'autre les raffineries d'un quartier voisin. Il a aussi une série sur de vieilles enseignes auxquelles plus rien ne correspond, qui tombent en ruines, dont une partie du texte a été arrachée ou effacée. Le peintre nous montre que les personnages, des gens du peuple, parfois des robineux ou des clochards, occupent une place importante dans ses toiles: parfois très petits, isolés au milieu d'un paysage hallucinant, d'autres fois, comme dans les toiles les plus récentes, verticales et étroites, ils prennent davantage de place, jusqu'à devenir le centre d'intérêt du tableau.
Partout, le détail foisonne: mégots de cigarettes écrasés par terre,  boîte de céréales, sac de chips, plaque d'immatriculation d'une voiture, image d'une carte postale: tout est reproduit avec la plus extrême minutie. Et ces paysages urbains se détachent toujours sur un ciel particulièrement riche en couleurs et en détails.
Ce sont d'ailleurs les ciels qui ont d'abord intéressé Colin Chabot, et même si dans certaines toiles récentes ils occupent moins de place, les nuages représentent toujours pour lui un défi stimulant et constituent un élément important de la toile.
Un montage didactique intégré à l'exposition explique sa méthode de travail: il prend entre 20 et 100 photos d'un même site qu'il juge intéressant, puis il réfléchit, parfois pendant plusieurs années, associant, combinant, déplaçant les photos.
Lentement, il élabore une composition: il ne reproduira pas les photos de façon exacte. Il pourra ajouter des détails, une voiture ou un personnage par exemple, en supprimer d'autres, opérant parfois carrément une fusion entre des groupes d'éléments choisis dans des environnements différents. Il combine  ensuite, avec son image, un des nombreux ciels accumulés dans ses cartons au cours des années. Ensuite, il fait un croquis, au crayon, indiquant la disposition des éléments sur la toile.
Puis c'est l'application de la couleur, l'acrylique. Colin Chabot se sert des propriétés particulières de l'acrylique, qui sèche très vite, pour obtenir les nuances par superposition et dégradation des couleurs, surtout pour les ciels. La confection d'une toile lui demande entre un et quatre mois. «Comme je suis peintre à plein temps, j'ai décidé de ne pas me fixer d'horaire: je sais que je vais peindre demain, alors aussi bien terminer de façon satisfaisante la toile que je fais avant d'en commencer une nouvelle», dit-il.
Cabane à patates frites, bar laitier, motel sans style au milieu de nulle part, intérieurs et extérieurs d'usines, à Laval, Beloeil, Godbout, Drummondville: Colin Chabot choisit les sujets qui lui semblent mériter l'attention, sans se préoccuper de leur beauté. A la manière des peintres de genre flamands et hollandais, il veut témoigner de son époque, en choisissant des détails concrets, identifiés à un temps et à un lieu, qui, il l'espère, pourront être appréciés partout dans le monde.
Autodidacte, Colin Chabot a commencé une carrière de peintre professionnel en 1971. D'abord associé à l'art contemporain, il a effectué, au début des années 1980, un virage vers la nouvelle figuration. Il a fait une quinzaine d'expositions individuelles et participé à autant d'expositions collectives, notamment au Symposium de la jeune peinture de Baie Saint-Paul et au Musée des Amériques de Washington en 1992. La collection Loto-Québec compte cinq de ses tableaux.
Il sera au CNE aujourd'hui, à compter de 13h, pour le vernissage de son exposition, qui se poursuivra jusqu'au 8 juin, et qui sera ensuite présentée dans d'autres musées et galeries du Québec.