Triturer l'image et le son: une folle production multimédia
mai 1997
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Il est créateur en arts visuels au Saguenay, elle est ingénieure du son à Toronto et vient de Beijing, en Chine. Ils se rencontrent à Banff, décident de travailler ensemble et présentent une production multimédia à la galerie Séquence, jusqu’au 22 juin, dont le titre semble refléter les étapes de leur travail: «Folie (épisodes et tremblements)».
Folie parce que les éléments de ce travail, images et sons, occupent à eux seuls un espace virtuel énorme, plus d’un cédérom. Et parce qu’ils ont tout réalisé à deux, y mettant plus de 600 heures de travail. Celui-ci n’est pas encore gravé sur un cédérom, mais cela se fera sans doute bientôt, explique Carol Dallaire. Natif de Chambord, ayant grandi à Jonquière, il utilise l'ordinateur, l'infographie, le multimédia en fonction de ce qu'ils peuvent apporter à sa démarche artistique. Il est connu pour ses séries d’estampes infographiques réalisées à partir de photographies travaillées par ordinateur, mettant en avant les personnages de I.L. et de E.L., qu’il a eu l’occasion de présenter au Québec, au Canada et en Europe. Dans la région, il a présenté récemment deux importantes expositions de ce type: «Le complet bleu ou l’apparence des choses qui ne sont pas des sons», à Espace Virtuel en 1995 et «Petites mythologies» au CNE en 1993. Quatre estampes de la série «Le complet bleu» ont été proposées pour la campagne de financement 1997 du CNE.
Les spécialistes en production multimédia à Montréal lui ont dit qu’un travail comme celui qu’il présente à Séquence exigerait une équipe de sept personnes au moins et coûterait environ 40 000$.
Or il a travaillé avec une seule autre personne, Jun Zhang, spécialiste en enregistrement sonore, chinoise d’origine qui vit et travaille à Toronto depuis quelques années. Ils ont décidé de collaborer pour produire une oeuvre, appuyés par la galerie Séquence, le centre Avatar de Québec, le département des arts et lettres de l’UQAC. «Nous avons d’abord pensé à une création interactive, mais ensuite, nous avons défini un objectif plus précis: explorer les effets d’une image grand format dans un lieu public», explique Carol Dallaire.
Le deuxième terme du titre, «épisodes», pourrait concerner le contenu du document audiovisuel, qui est projeté au mur jusqu’à aujourd'hui, et ensuite sur un écran vidéo. On y trouve une centaine d’images, regroupées en 25 séquences (épisodes) ponctuées par des textes écrits qui font référence à de brèves histoires, à des rencontres, à des réflexions. Par exemple, «I.L. ne faisait plus confiance aux nièces de son voisin. Elles semblaient si étranges». Ou encore «L’âge véritable donnerait-il mauvaise haleine?» Les images demeurent en général un peu floues, mais on peut fort bien y distinguer des visages, des corps, des éléments de mobilier, des sections de paysage. L’effet de mouvement est donné par des déplacements de l’image, des fondus au noir, des ouvertures et fermetures de cadre.
Le son, ajouté au mouvement, peut illustrer le troisième terme du titre: tremblements. C'est un mélange de mots et de phrases en anglais et en chinois, de murmures, de bruits divers et de musique, diffusé en stéréo par deux haut-parleurs. Ce sont les deux artistes qui ont composé la musique, jouée sur un synthétiseur: on y retrouve beaucoup d'inspiration jazz, et aussi des accents classiques et orientaux. La bande sonore, qui associe à l’image une respiration, une pulsation rythmique, a été réalisée au Centre d'expérimentation sonore Avatar, du regroupement Méduse à Québec. Jun Zhang a effectué un travail minutieux, autant sur la qualité que sur l'aménagement de l'espace sonore.
Après une première rencontre à Banff, les deux artistes ont d’abord échangé des idées par courrier électronique, puis Jun a séjourné à Chicoutimi à quelques reprises pour la mise au point, et elle y demeure trois semaines pour l'étape finale. Outre ses compétences artistiques, elle a aussi apporté des recettes de cuisine chinoise («délicieuses, assure Carol Dallaire), dont elle a servi un échantillon au vernissage jeudi à Séquence.
La projection d'une quinzaine de minutes n’est pas conçue pour un spectateur assis, immobile: «il faut que le visiteur se promène dans la salle, qu'il sorte, qu'il revienne. En fait, nous voulons vérifier s'il est possible de donner à ces images une vie plus longue que les dix secondes que dure une image de cinéma ou de télévision», souligne Carol Dallaire.
Pour compléter l'exposition, on trouve au mur de la même salle des estampes infographiques représentant des combinaisons d’images contenues dans le document audiovisuel, et, dans la salle voisine, six estampes infographiques tirées d'une importante exposition, «Les corps étrangers», présentée en février dernier par Carol Dallaire à la galerie Vox de Montréal.
Dans le domaine de l’art et du multimédia, il n'y a pas encore de règles, donc tout reste à faire et c’est cela qui est fascinant expliquent les deux artistes. Ainsi, ce qu’ils présentent à Séquence est une première étape d’un travail en devenir qui pourra éventuellement se développer, par exemple avec des images de format géant.
De plus, le travail présenté à Séquence est accessible sur le site Internet de Chicago où loge Carol Dallaire, à www.ava.qc.ca/creation/carol_dallaire/000pagetitre.html, que l'on peut aussi atteindre en passant par le site de Séquence (www.sequence.qc.ca). Les internautes peuvent d'ailleurs «importer» la bande sonore et les images.
Carol Dallaire, qui est chargé de cours en infographie et multimédia à l'UQAC, a travaillé en résidence à plusieurs reprises au centre d'art de Banff, il a participé à des expositions de groupe et à des colloques sur le multimédia à Montréal, Québec, en France et au Portugal entre autres. Il fera partie de l'exposition «Artistes d'ici», cet été au CNE, du Mois de la photo à Montréal en septembre, puis d'une autre exposition collective au Musée d'art contemporain.
Quant à Jun Zhang, spécialiste en enregistrement sonore, elle a étudié et enseigné à la Beijing Film Academy, dont elle a été directrice artistique de 1985 à 1991. Elle a travaillé comme ingénieur du son pour plusieurs téléséries et films tournés en Chine. Elle a travaillé à New York pendant un an et depuis 1993, elle vit et travaille à Toronto. Elle a obtenu sa nationalité canadienne il y a quelques mois.