Quand le détail devient l'essentiel
mai 1997
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Le détail devient l'essentiel dans l'exposition, intitulée d'ailleurs «Détails», que présente Paul Lussier à la galerie Espace Virtuel jusqu'au 20 juin. Ces détails, il les a puisés dans des dessins et illustrations tirés notamment d'anciennes planches anatomiques.
En entrevue, Paul Lussier se dit heureux de présenter une exposition solo après plusieurs années pendant lesquelles il a eu l'impression de «travailler pour les autres», participant à des événements, à des expositions de groupe, réalisant des projets du «un pour cent», et agissant comme membre de jurys et d'organismes tels le Conseil québécois de l'estampe et La Biennale du dessin de l'estampe et du papier à alma, dont il est directeur artistique depuis dix ans. La Biennale 1997 rend d'ailleurs hommage à son travail artistique en exposant, avec celles des artistes sélectionnés, quatre de ses oeuvres, deux à Jonquière et deux à Alma.
Le travail qu'il propose à Espace Virtuel marque pour lui une nouvelle façon de faire: «alors qu'auparavant, dans les dessins, je travaillais par soustraction, par oblitération (on se souviendra de ses sarcophages, qu'il ne fallait pas d'ailleurs, comme certains l'ont fait, interpréter comme processus d'autodestruction, mais plutôt comme travail sur un lieu de passage d'un état à un autre), cette fois j'ai travaillé par addition», précise l'artiste qui est aussi professeur en arts à l'UQAC.
Cependant, il a conservé ses préoccupations tournant autour de la présence du corps, exprimées par des détails anatomiques, et son intérêt pour une thématique qui évoque l'agression (guerrière, médicale, sexuelle) envers le corps.
Toutes les oeuvres ont pour base une estampe infographique (image digitalisée et retouchée par ordinateur) imprimée sur du papier Arches, à base de matière textile, à partir de trois types d'images: un coeur tel que présenté sur des planches anatomiques, notamment dans l'Encyclopédie de Diderot, une cuisse d'homme présentée en coupe (on aperçoit également le pénis). Et une double image illustrant la modification apportée à une peinture ancienne représentant la Vierge et l'enfant Jésus pour des raisons de pudeur: le sexe du garçon que l'on pouvait apercevoir sur l'oeuvre originale a été, dans la version corrigée, recouvert d'un voile, appelé repeint de pudeur. Les images montrent un détail de cette toile, divisé en deux: avant et après, où on aperçoit notamment la main de Marie posée sur la cuisse de l'enfant.
Sur ces estampes, qui occupent une petite partie de la surface totale, et tout autour, l'artiste a effectué des interventions directes, au crayon de plomb ou de couleur. Il a dessiné tantôt des pointes ou des flèches, tantôt des taches rouges qui évoquent le sang. Cette partie de son travail met en lumière le thème qui sous-tend l'ensemble: celui du martyre de saint Sébastien, ou en tout cas, des représentations, constituant une véritable érotisation de la mort, qu'en ont données les peintres du Moyen Âge qui ont montré le corps androgyne du saint presque nu et criblé de flèches. Le spectateur ne peut que s'identifier lui-même ou identifier le créateur à l'archer, souligne Paul Lussier, qui précise cependant qu'il ne s'agit pas de sa part d'un discours homosexuel.
Tout autour de ces icônes, il a aussi dessiné, au crayon de plomb, des formes inspirées par des objets du patrimoine populaire québécois, tels moules pour le sucre ou le beurre. «Ces éléments venus tout droit du quotidien tempèrent l'émotion, l'exaltation de l'autre partie du travail. C'est un nouveau terrain pour moi, et je pense que je continuerai à explorer les possibilités de ce type d'objets dans mon travail», dit Paul Lussier.
Enfin, dernier élément qui revient sur chaque oeuvre: trois tulipes dessinées au crayon, dont les tiges sont entrecroisées. «Celles-là, je les propose comme une offrande, un cadeau au visiteur», dit-il. Le travail effectué dans l'intimité de l'atelier ne prend vraiment son sens que s'il y a une réponse, un échange qui va de l'oeuvre au spectateur, et ces tulipes, par leur légèreté, leur grâce, sont un moyen d'établir un contact «facile» avec le visiteur. Celui-ci sera amené éventuellement à comprendre les sujets plus profonds, et plus angoissants qu'aborde l'artiste dans son oeuvre.
Ces «détails» ne sont en somme que des éléments, des fragments à partir desquels celui qui les regarde est invité à raconter, à se raconter des histoires, en puisant ses indices sur les différentes oeuvres, qui, vu leur support papier, évoquent les pages d'un livre, souligne enfin Paul Lussier.