L'esthétique des organes internes
avril 1997
par Denise Pelletier
JONQUIERE(DP) - Le Festival des musiques de création a fait appel à Natacha Gagné, de Chicoutimi, pour tenir une exposition pendant son édition printanière, laquelle comprend quatre concerts, tous donnés au Centre culturel de Jonquière.
La jeune artiste a installé, sur les murs de la salle, quatre grandes toiles tirées d'une exposition intitulée «Immortalité usinée» qu'elle avait présentée à Espace Virtuel l'an dernier. Ces tableaux évoquent très clairement les organes du corps humain: coeur, utérus, nerfs, peau, autant par les couleurs, rouge, jaune, ocre, gris, que par les formes et les textures, souvent obtenues au moyen de touches de couleur qui ressemblent à de petits grains.
Ainsi qu'elle nous l'explique au cours d'un entretien téléphonique, Natacha Gagné travaille son oeuvre comme un tatouage, puisque les formes se construisent par accumulation ou juxtaposition de lignes et de points exécutés au crayon à l'huile. Mais ce tatouage est, esthétiquement parlant, appliqué aux organes internes du corps, car en effet, les formes évoquent les tissus des différents systèmes corporels: osseux, digestif, nerveux, et autres. De plus, la toile elle-même est parcourue de lignes et craquelures qui évoquent le vieillissement de la peau. Enfin, les grains de couleur évoquent ceux de ces colliers que l'on porte directement sur le corps, mais que l'on peut changer ou enlever, contrairement aux tatouages.
«Par mon travail, je souhaite évoquer les actes médicaux, comme celui du chirurgien qui remplace des organes par des machines, et qui éloigne donc les gens de leur propre corps, dit Natacha Gagné. J'aimerais que le spectateur prenne conscience de la situation et reprenne contact avec ce qui se passe dans son corps».
Du point de vue technique, comme les toiles sont grandes, on a l'impression d'un procédé gestuel, mais il n'en est rien: «c'est un travail minutieux, tout en subtilité, chaque détail, chaque petit grain de couleur est soigneusement mis en place, et il faut aussi beaucoup de temps et de coups de pinceau pour obtenir les effets de transparence que je recherche», dit-elle.
Les oeuvres exposées sont mises en valeur par un éclairage spécial lors des concerts du FMC, ceux de Michael Snow (le 11 avril dernier), de l'ensemble Normand Guilbeault (le 25 avril), de Karen Young (le 9 mai) et du Ritual Nova ensemble (le 16 mai). Entre-temps, les personnes intéressées peuvent les voir, en en faisant la demande, dans la salle Pierrette-Gaudreault du Centre culturel de Jonquière.
Détentrice depuis trois ans d'un bacc interdisciplinaire en arts de l'UQAC, membre du collectif d'artistes l'Oreille coupée, Natacha Gagné a décidé de vivre et de travailler dans sa région natale. Elle terminait cette semaine la réalisation d'une grande fresque de 360 pieds carrés au centre l'Oasis de Chicoutimi, dans le cadre d'un projet d'intégration de l'art à l'architecture (politique du 1% du ministère de la Culture). «C'était fantastique parce que j'ai pu travailler avec des formats vraiment immenses, réaliser quelque chose que je n'aurais pu faire en atelier. Les tableaux sont tellement grands qu'on a l'impression d'entrer à l'intérieur du corps», dit-elle. Sa fresque est répartie en dix surfaces posées sur les murs et les colonnes: elle y traite toujours du corps, mais avec une optique particulière: «je me suis inspirée des travaux d'un architecte de la Renaissance, Francesco DiGiorgio, qui faisait des plans d'église en tenant compte des proportions de l'anatomie humaine», souligne-t-elle.