Lumières sur la ville
mai 1997
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - C'est un endroit où on n'a pas l'habitude d'aller voir des expositions, en réalité un endroit où la plupart des gens n'ont jamais mis les pieds. La tour d'observation de l'édifice du Vieux-Port offre pourtant un point de vue extraordinaire sur les deux rives du Saguenay et sur la ville, et c'est pour cela que Marie-Claude Smith a choisi d'y présenter une installation intitulée «Peaux de lumière».
Mais pour permettre aux gens de voir la ville, elle les plonge d'abord... dans le noir. En effet, au tout dernier étage de cette tour, l'artiste multidisciplinaire a bouché toutes les fenêtres, pour créer une obscurité presque totale. Toutefois, des ouvertures pratiquées dans des plaques laissent passer des faisceaux lumineux qui «impriment» le paysage environnant sur un voile installé tout autour de la salle, selon la technique du sténopé et de la camera obscura. On peut y distinguer le Saguenay, ses rives, les édifices voisins, la cathédrale notamment, les nuages. Tout cela est inversé à la verticale et déformés, étiré à l'horizontale.
Ce que voit le visiteur arrivée dans cette «presqu'île» dépend de la luminosité ambiante: quand il fait sombre, comme lors de notre visite, tout est gris, et quand il fait soleil, les couleurs sont nettement perceptibles sur le voile. Tout joue sur le désir et l'attente, explique l'artiste: arrivant dans cette chambre obscure, le spectateur attend que ses yeux s'habituent à l'obscurité. Tant que ce n'est pas fait, il ne perçoit pas bien l'image, il désire donc la voir mieux. Et cette image, affichée sur un voile, demeure toujours plus ou moins floue, de sorte qu'il y a comme une attente de contours plus précis.
Enfin, la visite se déroule en temps réel: les variations de la lumière et les déplacements des visiteurs sur la jetée construite en bois, qui font bouger celle-ci, s'agiter le voile et l'encre contenue dans les bassins posés par terre, modifient sans cesse ce que l'on voit. Tout est en mouvement.
Mais là ne s'arrête pas l'installation de Marie-Claude Smith: un étage plus bas, elle propose des images photographiques ou numérisées de petits bassins qu'elle a creusés, dans divers paysages, et remplis d'encre bleue. Ces «points d'encrage» font écho aux trous qui laissent passer la lumière dans la chambre obscure. L'encre réfléchit la végétation environnante ou demeure totalement opaque, selon les conditions de température dans lesquelles les photos ont été prises. Dans une salle voisine, elle présente aussi un vidéo réalisé pendant ce travail.
Marie-Claude Smith ne se considère pas comme photographe, mais plutôt comme une artiste multidisciplinaire. «Je ne fais pas de représentation, mais je travaille sur la représentation, je mets en évidence les diverses caractéristiques d'une image». Elle réfléchit aussi, littéralement, aux divers aspects de l'image en utilisant le pouvoir de réflexion de différentes matières, l'encre notamment.
Dans l'escalier menant d'un étage à l'autre, Marie-Claude Smith a affiché une phrase de Jacques Lacan qui correspond parfaitement au sens de sa recherche, à cette idée du délai, de l'attente, du retard dans le regard: «Jamais tu ne me regardes là où je te vois».
Originaire de Gagnonville sur la Côte-Nord, Marie-Claude Smith a vécu dans diverses régions du Québec, et notamment au Saguenay-Lac-Saint-Jean pendant plusieurs années. Elle réside à Québec depuis quelques mois et l'exposition qu'elle présente au Vieux-Port constitue le volet pratique de son projet de fin de maîtrise à l'UQAC. Elle a déjà participé à plusieurs expositions collectives dans la région, et exposé en solo à Espace Virtuel et à la galerie Le Lobe.
L'exposition «Peaux de lumière», réalisée après un séjour en résidence parrainé par le centre d'artistes Séquence, est présentée tous les jours entre 13h et 17h, jusqu'au 23 mai. On y accède par la porte centrale de la façade ouest de l'édifice, voisine de celle qui porte l'inscription «Vieux-Port».