Se tourner vers le rêve
février 1997
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Quand on entre dans la galerie Espace Virtuel, c'est la couleur qui nous frappe d'abord. Du jaune et du rouge assez vifs, et des formes circulaires: tout de suite, c'est l'idée du soleil qui se fraie un chemin, vers les sens plutôt que vers l'esprit. On peut y discerner les protubérances solaires, la queue des comètes ou encore la foudre.
Il s'agit de l'exposition de Madeleine Doré intitulée «Vêtir le rêve», présentée jusqu'au 10 mars. L'artiste confirme cette impression d'éclatement, de vivacité, donnée par ses oeuvres. D'abord cette exposition marque un changement par rapport à ses créations antérieures, et peut-être même par rapport à la production d'autres artistes en art actuel. Une sorte de réaction contre l'austérité de ses créations précédentes, contre la morosité aussi du climat général. Une réaction dont Madeleine Doré avait besoin dans sa vie personnelle, où elle a dû affronter en peu de temps des deuils et la perte de ses biens lors du sinistre de juillet, et qui s'est développée au cours du processus créateur, car chez elle les deux sont toujours intimement liés.
Un besoin donc de quitter les préoccupations matérielles pour travailler dans le rêve, le vêtir comme l'indique son titre. Qui s'est manifesté par l'introduction de la couleur dans plusieurs oeuvres.
Mais aussi dans le processus même de la création: «c'est un travail sur le mouvement, explique-t-elle, un mouvement circulaire qui va de l'intérieur vers l'extérieur». C'est très visible dans les spirales qui s'enroulent pour former de grands cercles. Mouvement circulaire dans le résultat, mais aussi dans le processus même, sorte de rituel qui consiste à découper, façonner et enrouler des bandes de toile: tout cela prend du temps, comme en prenaient les travaux traditionnels des femmes tels le tricot et le tissage. Tradition encore rappelée par l'aspect final de quelques oeuvres qui fait penser à ces grands chapeaux de paille portés autrefois. Ce long processus a permis à l'artiste de reprendre contact avec sa propre mémoire et avec la mémoire collective.
Ainsi, l'une des oeuvres est faite de bandes de toile enroulées sur elles-mêmes jusqu'à former un ensemble circulaire de bonne dimension, légèrement soulevé, qui se présente dans des teintes pastel. Madeleine Doré révèle qu'elle a réalisé des peintures sur les toiles avant de les découper et de les assembler dans un ordre précis, de sorte que l'on pourrait dérouler l'oeuvre et retrouver les images originales.
Comme toujours chez elle, le thème du corps, et en particulier du corps féminin, est très présent. Une oeuvre faite de bandes repliées en leur centre peut ressembler à une paire de jambes, et celle qui est toute enroulée sur elle-même rappelle la forme d'un sein. Une autre, faite de gants de travail en toile écrue, empilés et rassemblés en leur milieu par une structure verticale, fait référence à la colonne vertébrale et une grande forme, au fond, vaguement circulaire avec parfois des des éléments qui sortent du cercle, pourrait évoquer les circonvolutions du cerveau humain.
Se rapprocher du processus d'écoulement du temps, et aussi de la matière elle-même, souligne Madeleine Doré. La matière de base comme la toile, ou encore la tricolette dont se servaient nos mères pour confectionner des catalognes. Plus la couleur, intégrée aux oeuvres, intimement mêlée à la matière, qui en devient épaisse et solide, plutôt qu'appliquée en surface.
Finalement, Madeleine Doré, qui n'avait pas produit d'exposition solo depuis quelques années, estime que celle-ci lui a permis d'expérimenter une liberté totale dans sa création et d'accueillir avec une grande ouverture d'esprit les idées qui se présentaient. C'est ainsi qu'elle a décidé à la dernière minute de présenter ses oeuvres à l'envers, du côté opposé à celui où elle s'est placée pour les confectionner, un peu à la manière d'un sculpteur qui s'approprie toutes les dimensions de l'espace. «J'ai l'impression d'avoir été jusqu'au bout dans cette aventure». Finalement, dit-elle, qui exprimera et sauvegardera l'espoir, le bonheur, si ce ne sont pas les artistes?
Originaire de Métabetchouan, Madeleine Doré a étudié et travaillé en art à l'extérieur de la région pour revenir à Chicoutimi il y a plusieurs années. Elle a participé à de nombreuses expositions collectives, réalisé des performances, et enseigné en arts. Elle rédige régulièrement des textes critiques ou analytiques sur l'art: très active dans le milieu régional des arts visuels, elle est notamment membre du collectif l'Oreille Coupée.