De l'origine à la prolifération des espèces
janvier 1997
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Deux artistes exposent en même temps à Espace Virtuel, après avoir réalisé leurs travaux dans le cadre d'un programme de résidence qui a duré du 9 au 23 janvier. Bien qu'ils établissent des similitudes entre leur travail et leur cheminement, Patrice Duchesne et Martin Dufrasne présentent deux propositions différentes, séparées par une ligne imaginaire qui diviserait la grande salle en deux parties égales.
Patrice Duchesne, qui est l'un des plus anciens membres du collectif l'Oreille Coupée (alors que Martin Dufrasne en est le membre le plus récemment admis), propose une installation intitulée «Strates de la mécanique morphogène», un corpus d’oeuvres divisé en quatre modules qui font référence au développement, en apparence anarchique mais en réalité analysable et quantifiable par des formules mathématiques précises, des cellules végétales, animales et même solaires.
Ainsi qu'il nous l’explique en montrant les différents éléments de son exposition, il a bâti toutes ses pièces au moyen de matériaux de récupération: toile brute, bouchons de liège, planches tirées d'anciens manuels de botanique, morceaux de plastique de diverses formes, pailles et même des casques de mineurs.
L’ensemble le plus marquant, peut-être parce qu'il diffère du reste, c'est une série de tableaux de grand format réalisés en bonne partie au moyen de planches de botanique, en plastique gaufré, où sont littéralement sculptées des formes végétales. Patrice Duchesne a disposé ces planches en mosaïque dans une partie de chaque tableau, qu’il a ensuite complété par des interventions au pinceau, pour enfin appliquer une cire blanche qui donne l'impression que ces formes vivantes sont sous la neige ou la glace, à la fois figées, fixées et conservées par le froid.
Mais ces espèces, comme toutes les espèces vivantes, ont eu une existence, une origine: Patrice Duchesne part à la recherche de celle-ci dans son premier module qui illustre les étapes du développement de l’embryon, appelées morula, gastrula et blastula. Pas d’illustration réaliste, cependant: des sphères dont l’élément de base est un casque de mineur, lequel a été recouvert de toile brute, reliées entre elles par des éléments linéaires et sphériques, placées au plancher, à la hauteur des yeux et jusqu’au plafond. Et partout cette cire blanche qui recouvre les pièces et qui évoque, dit l’artiste, le liquide séminal. D’ailleurs, c’est le blanc qui frappera le visiteur: il faudra s’approcher et observer attentivement les oeuvres pour y découvrir des éléments colorés.
Un autre module fait référence, entre autres, à la chaîne chromosomique de l’ADN et à sa structure en double hélice, par deux tiges colorées verticales entrelacées auxquelles il a donné une forme hélicoïdale. Un autre module enfin touche au monde solaire, évoquant la mécanique des étoiles par une série de boîtes de jonction ou de distribution où aboutissent et d’où partent différents tubes: cette fois, la matière de base serait le plasma, qui donne naissance aux astres et corps célestes, au prix de nombreuses séquences avortées. Une intervention au produit décapant qui a littéralement décoloré une forme circulaire sur le mur du fond indique enfin, selon lui, une volonté d’atteindre l’origine des êtres, la genèse de la vie.
Travail de recherche, donc que celui de Patrice Duchesne, que l’on peut aller voir à Espace Virtuel jusqu’au 7 février: un travail tout à fait accessible dans la mesure où on comprend la donnée de base, à savoir que tous les matériaux utilisés, tubes, caoutchouc, plastique, objets que l’on reconnaît ou non, passent de l’état inerte à l’état vivant. L’intervention de l’artiste tend à les détourner de leur état originel pour leur conférer, par des manipulations, combinaisons, découpages, recentrages, colorations, un pouvoir d’évocation, une dimension esthétique qui effectue la jonction avec l’imaginaire: le visiteur y voit des cellules, des molécules, des atomes.