Le noir et blanc pour montrer l'essentiel
mai 1996
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI(DP) - Des photos en noir et blanc qui représentent des corps humains ou des crânes curieusement déformés: ils sont multipliés, ou encore creusés de coupes chirurgicales qui laissent apercevoir des formes et des substances étranges, indéfinissables et inquiétantes. C'est le contenu de l'exposition intitulée «Le savant et le spécimen», que présente Paul Lowry à la galerie Séquence jusqu'au 16 juin.
Réalisées entre 1990 et 1995, ces oeuvres sont tirées de cinq séries ou portfolios créés pendant cette période, comme nous l'explique l'artiste en entrevue téléphonique. Tout a commencé quand il a effectué un retour au noir et blanc et à la photographie, après avoir exploré la couleur et d'autres moyens d'expression comme le cinéma, la vidéo, la peinture.
C'est aussi à cette époque qu'il est devenu son propre modèle, un peu par choix mais aussi beaucoup par nécessité. «Avec le recul, je m'aperçois que c'était la meilleure possibilité, dit-il, cela m'a permis de revenir à l'essentiel de l'image». Techniquement, le travail commence par de nombreuses séances de photographie, et ensuite les clichés sont imprimés avec peu ou beaucoup de manipulations en chambre noire, telles que coupes, agrandissements, collages, montage de plusieurs négatifs en superposition par exemple. Enfin, la maquette ainsi réalisée est photographiée à nouveau, ce qui donne à l'oeuvre une surface lisse tout en laissant voir les interventions successives de l'artiste.
Les images qui résultent de ce bricolage sont saisissantes: l'humain y est présenté comme un spécimen mis sous examen par une science qui serait brutale, agressive: la tête est prise en étau, entourée d'appareils de mesure, la bouche étirée par une machine qui la déforme. Ailleurs, l'image laisse voir le squelette de la mâchoire et les dents plutôt que la surface du visage, comme dans une radiographie. Une autre série évoque des rites primitifs liés à la nature: une forme humaine de profil, par exemple, est surmontée d'une tête simiesque faisant face à une tête humaine qui semble prolonger le pénis. Ou encore un guerrier primitif armé d'un couteau tient à bout de bras une réplique de sa propre tête. D'autres images sont moins troublantes: elles montrent des formes féminines et masculines enlacées, une femme portant des plumes sur sa poitrine, ou encore, de façon très poétique, un couple lové à l'intérieur d'un oiseau.
Paul Lowry avait comme préoccupation de montrer la fragilité de l'humain, le contraste entre la vie, éphémère, et les moyens énormes que déploie la technologie pour tout étudier et pour construire des monuments démesurés. «Je propose cela comme une série d'interrogations et de réflexions, comme un exercice de compréhension face au monde actuel», dit-il.
Né en Ontario en 1957, Paul Lowry a étudié la photo à Toronto et il a vécu au Saguenay entre 1982 et 1985, à la fois comme étudiant et chargé de cours à l'UQAC. Il vit actuellement à Montréal avec sa famille, il enseigne dans des collèges et universités du Québec et de l'Ontario et expose assez régulièrement.