Toutes les formes sont dans la nature
mai 1996
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI (DP) - En jetant un premier coup d’oeil sur les grandes toiles que Michel Boulanger expose à Espace Virtuel (jusqu’au 19 mai), on pense d’abord qu’il s’agit de paysages réalistes et par conséquent d’une exposition qui rompt avec les propositions modernes et actuelles que l’on trouve habituellement dans cette salle.
Mais il suffit de s’approcher de l’une des toiles pour comprendre que l’on s’est trompé et que le réalisme apparent des tableaux dissimule une foule d’éléments qui orientent vers une interrogation fondamentale sur la représentation de la nature, sur sa pertinence, ses techniques et ses codes.
Intitulée «Forêts et chantiers», l’exposition se divise en deux groupes de toiles correspondant chacun à l’un des éléments du titre. Les forêts, ce sont trois oeuvres qui intègrent des éléments végétaux tels que sous-bois, arbres, roches, dans des teintes inspirées du monde végétal, vert, gris, brun, mais légèrement exagérées, stylisées en quelque sorte. Ces teintes guident le regard vers les détails de la toile, et on se rend compte alors que les feuilles des arbres tissent littéralement des formes, humaines ou animales, en devenant, dans leur prolongement, des êtes, des corps, des membres. Dans «L’inéluctable éparpillement», on distingue très nettement le personnage de Donald Duck, formé dans le feuillage d’un sous-bois, avec au premier plan des formes en orange vif qui pourraient évoquer des hiéroglyphes, des caractères chinois, des signes cabalistiques ou même des viscères corporels. Dans «Il n’y a pas de nuée innocente», on aperçoit des corps tendus par la douleur physique ou morale, à la manière des damnés de Rubens. Dans la plus fascinante des trois, intitulée «L’impossible verticale», les plates-formes rocheuses et grises d’une vertigineuse falaise révèlent progressivement au regard des joueurs de football, avec casque et épaulettes, accrochés aux arbustes de ce paysage fantasmagorique.
Les autres toiles, celles qui correspondent aux «chantiers» du titre, montrent des paysages utopiques. S'y entremêlent machines à construire issues de l’imagination et sans véritable fonction, éléments d’architecture inachevés et manifestement impossibles, et paysages évoquant la surface lunaire ou les fonds marins, plus quelques icônes, signes ou formes. Les titres à eux seuls décrivent fort bien l’entreprise de l’artiste: «Aménagement des vides laissés sous les portes de la rhétorique,» «Érection de l’indispensable sur les ruines de l’essentiel», et «Excavation des fondements de l’entropie».
Si on ajoute à cela le petit livre de textes et dessins conçu par l’artiste et intitulé «L’art de la nuée» et les maquettes des oeuvres visibles à l’entrée de la salle, on se rend compte que son travail consiste à proposer une révision critique des codes qui ont permis aux peintres d’autrefois de prétendre qu’ils «représentaient la nature». Michel Boulanger, comme plusieurs de ses contemporains, débusque les innombrables contradictions contenues dans cette proposition et s’y attaque directement.
La nature n’a que peu à voir avec le travail de l’artiste, notamment parce que celui-ci, comme humain, est un constituant essentiel de cette nature, dont il ne peut vraiment s’extraire. Ce que l’artiste peut faire, selon Michel Boulanger, c’est imiter la nature, ses mouvements et son insondable diversité.
Il s’empare en quelque sorte des motifs abstraits trouvés dans la nature, dans les feuillages, l’eau, les rochers, pour les détourner vers un sens, une figuration qui correspondent à son esprit, à sa vision de créateur.