Quand la rivière sort de son lit
avril 1996
par Denise Pelletier
CHICOUTIMI (DP) - (Deux jeunes créatrices exposent à la galerie Séquence jusqu’au 12 mai. Elles ont en commun une intention de sortir la photographie de son cadre traditionnel, tout en lui conservant le caractère de représentation qui lui a toujours été associé.)
Nathalie Caron, qui habite Saint-Cyrille-de-Lessard, travaille beaucoup sur le cadre de la photo. Son exposition, intitulée «La rivière jusqu’au pont», est formée de quatre ensembles façonnés de la même manière: une longue bande horizontale, étroite, formée de photos en noir et blanc de très petit format, reliées les unes aux autres par du fil et des points de couture. A intervalles irréguliers, la photo est remplacée par un rectangle tricoté au crochet dans un fil de couleur écrue. Le format des petites photos, qui évoquent les épreuves réalisées avant le développement proprement dit, n’est pas uniforme, de sorte que la bande apparaît irrégulière, agitée de mouvements, comme la rivière du titre.
Pour distinguer les images, il faut s’en approcher beaucoup. On y trouve des sujets à la fois variés et «banals», comme des instantanés croqués par un photographe amateur se promenant dans une maison, sur une ferme, dans un champ. Il y a là des gens, des têtes, des visages, des animaux, chiens et chats, des intérieurs. Certaines photos montrent un ensemble, d’autres mettent en évidence un détail, par exemple une oreille, deux paires de chaussures, une chaise ou une porte, un morceau de paysage. Parfois aussi la photo apparaît mal cadrée, le sujet est coupé, comme par une maladresse du photographe.
Les idées sous-jacentes au projet se manifestent avec assez de clarté. La variété des sujets, des cadrages, des formats, crée un dynamisme, incite à rechercher l’histoire ou les histoires que racontent ces photos, à la manière des bandes dessinées. Sauf que le texte de cette histoire n’est pas écrit d’avance: c’est à chaque visiteur de le composer, d’imaginer par exemple qu’il est un acheteur visitant un domaine, un participant à une fin de semaine entre amis, ou encore qu’il voyage à travers le monde en faisant des rencontres et en vivant des aventures.
Il est pertinent de parler de texte car Nathalie Caron est manifestement intéressée par cet aspect de la création, comme en témoignent ses livres d’artiste, exposés à l’entrée de la galerie Séquence. De même, son intérêt pour le textile et la création artisanale, souligné dans les textes de présentation, est très présent dans l’exposition, par ces opérations de couture et de tricot réalisées autour des photos, et qui évoquent un patient travail d’assemblage. Les éléments de départ, photos, fil de coton, sont simples, bruts, si on peut dire, mais, en les manipulant, l’artiste leur donne une profondeur, une dimension spirituelle qui ne demande qu’à rejoindre l’imaginaire du visiteur.